Notre famille a été amenée à déménager plusieurs fois. D’abord parce qu’à Montréal, le déménagement du 1er juillet de chaque année est pour certains plus qu’une tradition, presqu’une identité culturelle. Puis nous avons déménagé d’un continent à l’autre. Et là les diktats de l’Education nationale (si je dis à l’un d’eux « viens », il vient !) nous ont promené d’une région à l’autre. A la longue, nous ne défaisions plus les cartons. Question de prévoyance. Il n’empêche que même dans ces conditions-là, il faut s’asseoir, faire le tri, passer au crible ce qui est encore bon, toujours bon, de ce qu’il faut mettre au rebut. Cela est-il nécessaire, désirable même ? Cette question est un bon critère même si la décision reste parfois douloureuse à prendre.
Il est difficile de passer sous silence la crise que l’Eglise catholique traverse à moins de faire précisément ce que nous avons toujours fait : nous taire et faire comme si. Au-delà des souffrances infligées aux enfants et à leur famille, souffrances que nous ne pouvons évidemment que déplorer, je dois dire que je ne suis pas craintif de cette crise qui peut précisément être le début d’un recommencement. La crise vient d’un mot grec κρισις qui veut dire séparer, distinguer et le mot latin qui a donné crible vient justement du mot grec. Passer au crible revient à séparer. Séparer comme dans « séparer le bon grain de l’ivraie ». Non point que la séparation passerait au milieu de la communauté ecclésiale, ce serait trop facile ; mais plus cruellement en dedans de nous. Séparer la part de l’Evangile en nous de la part irréductible qui en chacun de nous refuse l’Evangile. Nous interroger sur ce qui dans notre Eglise de ce temps vibre au plus pur de l’Evangile de Jésus le Christ et savoir jeter aux oubliettes les pesanteurs et les injustices que seul le faux évangile des poussières et de la possession avaient rendues sacrées.
Dur travail, tri douloureux, chamailleries à venir entre ceux qui veulent garder et ceux qui veulent jeter.
Ce travail de renouvellement passe aussi au sein de la famille quand les parents ne sont plus à l’avant-garde des projets, ne donnent plus le ton parce que voyez-vous ma bonn’dam’, le monde a changé depuis que vous avez tenu votre aîné tout petit dans vos bras, parce que vos enfants voient d’un œil neuf ce que vous voyez désormais d’un œil terne. Il faut accomplir ce travail harassant mais nécessaire, douloureux mais sain, crève-cœur mais revivifiant. Travail de tri entre les choses importantes mais contingentes et accessoires qui furent, des choses importantes mais qui restent essentielles et marquées du sceau de l’amour, c’est-à-dire en définitive de l’amour du Christ.