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Responsable de la chronique : Jacques Marcotte, o.p.
Éditorial

J’ai mal à mon Église

Imprimer Par Anne Saulnier & Jacques Marcotte

 

Le 18 mai dernier, nous apprenions avec étonnement que l’ensemble des évêques chiliens remettaient leur démission au pape François, reconnaissant ainsi une responsabilité dans le scandale de pédophilie dénoncé par les victimes dans ce pays. Depuis, 14 prêtres chiliens ont été suspendus pour pédophilie. On se rappellera, à ce propos, les difficultés qu’avait eues le pape François lors de son voyage au Chili pour avoir défendu l’intégrité de Mgr Juan Barros. Celui était soupçonné d’avoir couvert les abus sexuels reprochés à l’Église chilienne, dont ceux du père Fernando Karadima. L’affaire a pris une telle ampleur que le pape a cru bon, à son retour, d’ordonner une enquête qui a prouvé de façon non équivoque le sérieux des allégations portées.

Depuis une dizaine d’années, les accusations de pédophilie à l’intérieur de l’Église ne cessent d’éclater au grand jour. Le grand public condamne l’Église et le pouvoir qu’elle représente. Plus encore que les accusations de pédophilie, c’est la culture du secret qui s’est développée au fil des âges qui choque le public. Documents de preuves détruits ou cachés, enquêtes qui n’ont jamais abouti, relocalisation des abuseurs dans d’autres paroisses ou d’autres pays tout en ayant les mêmes fonctions, complicité de l’Église avec l’état en place, etc. Il faut bien comprendre que dans plusieurs pays, l’Église n’a pas l’obligation de dénoncer les abus sexuels aux autorités civiles. Tout repose sur l’évêque en place qui doit examiner la plainte des victimes et juger s’il doit en référer au Vatican. Encore là, tout se passe à huis clos ; ce qui se passe à l’intérieur de l’Église reste dans l’Église.

Pourtant, l’omerta dans l’Église n’a pas toujours existé. Au Moyen-Âge, en effet, les crimes d’abus sexuels étaient sévèrement jugés et punis par les lois civiles. Avec le temps, toutefois, les choses ont lentement évolué et la culture du silence s’est installée pour atteindre l’état de crise actuel. L’Église tient ses secrets bien au chaud. Il faudra attendre Benoît XVI, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, pour que les choses commencent à bouger et qu’une enquête à grande échelle soit menée dans toute l’Église, révélant par le fait même l’ampleur du problème. Benoît XVI aura été le premier pape à appliquer la consigne d’une tolérance zéro envers les prêtres pédophiles. Toutefois, il y a loin de la coupe aux lèvres et malgré toute la bonne volonté du pape et les pressions des associations des victimes, rien n’a véritablement changé depuis. Il faut dire que l’Église est une institution qui détient un grand pouvoir au plan spirituel, économique et politique et les résistances peuvent être très fortes lorsque le besoin de réformes se fait pressant et que des changements s’imposent. Ainsi en est-il au Vatican comme ailleurs.

Pourquoi est-il si difficile à l’Église d’être transparente et d’agir pour que cessent les abus sexuels ? Pour ma part, je crois que plusieurs facteurs entrent en jeu : le pouvoir de l’Église en est un, bien sûr, mais il y a aussi la complexité des lois et la culture des différents pays où œuvre l’Église. Aux États-Unis, par exemple, il y a un délai de prescription pour dénoncer les crimes sexuels. Passé ce délai, il n’est plus possible pour les victimes de réclamer justice. Or, pour les crimes concernant la pédophilie, il n’est pas rare que la victime dénonce les faits commis après plusieurs années. Un enfant, surtout s’il est très jeune, sera plus facile à manipuler, surtout s’il admire et aime l’abuseur. De plus, pour les garçons, il peut s’avérer dégradant de dénoncer ce qui s’est passé. Et par-dessus tout, il y a l’argent. On n’a qu’à penser aux milliards de dollars qu’il faudrait pour dédommager les victimes ! Acheter le silence revient souvent moins cher à l’Église que d’indemniser les victimes.

 

 

Au moment d’écrire cet éditorial, j’ai mal à mon Église. Très mal. Je croyais être forte, je me sens faible et salie, comme si les éclaboussures reliées au dernier scandale m’avaient profondément touchée. Par-dessus tout, je me sens profondément trahie par cette Église dans laquelle j’ai été élevée. Mon cœur de femme communie à toutes ces souffrances subies et à ces vies brisées, mais j’ai aussi mal en ayant la certitude que nous sommes le Corps du Christ, que l’Église est le Corps du Christ et que c’est le Christ que nous mettons en Croix quand nous permettons à ces crimes de perdurer.

Non, le dossier de la pédophilie n’est pas facile à régler, mais déjà, si l’Église montrait plus de transparence, cela aiderait beaucoup. Il faut, bien sûr, punir les coupables et s’assurer que les évêques respectent une règle de conduite claire comme l’Église le leur demande, mais aussi et surtout remonter à la source du problème qui en est un de culture et de mentalité. Derrière les prêtres pédophiles, c’est tout un système qui est malade et qu’il faut revoir. En tant que femme, je ne peux m’empêcher de rêver à une Église qui donnerait aux femmes leur juste place. Il me semble que cela apporterait un bel équilibre et tellement de richesse !

Oui, j’ai mal à mon Église et oui, je comprends ceux qui s’en sont éloignés et pour qui la religion est la grande fautive. Je sens le paquebot couler sous mes pieds et ma foi en cette institution est fragile. Par contre, j’ai foi en l’action de l’Esprit qui peut faire virer le vent et calmer les vagues de la tempête. Il faut seulement que l’Église écoute ce que l’Esprit cherche à lui dire à travers la crise qu’elle traverse. Des changements majeurs s’imposent rapidement, sans quoi l’Église ne pourra s’en prendre qu’à elle-même si ses fidèles la quittent pour chercher ailleurs un sens à leur vie. Pour m’encourager, je pense que l’Église du Christ a traversé bien des crises au fil des siècles et qu’elle va renaître de celles-ci plus forte et meilleure. Il reste à voir sous quelle forme !

Anne Saulnier
En collaboration avec Jacques Marcotte, OP
Québec

 

One thought on “J’ai mal à mon Église

  1. BOLIAN

    Tout simplement Merci.
    Vous exprimez très justement ce que je ressens très profondément.
    Oui à plus de démocratie dans l’Eglise, Oui à une place des femmes et à leur pleine égalité,
    Oui à la transparence. Oui à la simplicité de l’évangile comme l’exprime si bien frère Roger de Taizé.

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