J’achève la lecture d’un livre au titre interpellant: « Les enfants portiers du royaume. Accueillir leur spiritualité . L’auteur, catéchiste professionnelle, dédie son livre à ses futurs petits- enfants.
Cet ouvrage s’est construit autour de cette affirmation: les enfants sont des théologiens. Non seulement des chercheurs de Dieu, mais des experts du divin. Quelles que soient leurs diverses manières l’exprimer, quel que soit le conditionnement extérieur qui pourrait les influencer. Je n’entre pas en débat ici sur les méthodes catéchétiques (européennes, canadiennes ou américaines), mais sur cette prétention de faire de l’enfant un « révélateur » de Dieu.
Cette question en cache une autre, plus fondamentale : l’être humain serait-il « de nature » ouvert à Dieu, jusqu’à devenir son « prophète » ou son « théologien » ? Serait-ce la marque de l’image ou de la ressemblance de Dieu imprimée dans son être (Gen 2) qui confèrerait à l’enfant ce privilège ? Il lui suffirait d’exploiter cette veine « congénitale » pour devenir porte-parole de ce divin qu’il porte en lui. Le ou la catéchète ne ferait qu’amener l’enfant à parler de Dieu, avant même qu’on ne lui en parle.
Les catéchismes ont enseigné pendant des siècles que l’enfant était né dans le péché. Si ce n’est dans le sien ou celui de ses parents, du moins dans le péché de son ancêtre Adam. Péché, hérité lui aussi, comme une malformation congénitale, qui éloigne l’humain de Dieu. A moins que le baptême ne le purifie. Et voilà qu’on nous enseigne aujourd’hui que tout enfant est né théologien. Je retiens mon souffle pour ne pas perdre l’équilibre !
Jean-Jacques Rousseau aurait trouvé sympathique l’hypothèse de notre catéchiste professionnelle. Le philosophe genevois prétendait que : « l’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt». En un sens totalement opposé, on attribue ce slogan à Sigmund Freud : « l’enfant est un pervers polymorphe ». Lequel a tort ? Lequel a raison ? Dans le contexte qui nous intéresse, cette opposition pourrait se traduire ainsi : ou bien on parle de Dieu à l’enfant comme d’un être inconnu, extérieur à lui-même. Dans ce cas, le catéchète s’emploie à faire découvrir l’absent. Ou alors, on parle à l’enfant de Dieu comme d’un être déjà connu, même si sa présence est enfouie profondément dans les replis de son cœur.
Plutôt que tenter de résoudre ce dilemme, je préfère me référer à l’expérience. Aurais-je pu prier si ma mère ne me l’avait pas un jour appris ? Des enfants prient, d’autres, apparemment, ne prient pas ou ne prient plus. Pourquoi ? Le catéchète conduit-il l’enfant vers un expérience personnelle inédite ou réveille-t-il en lui la présence du divin déjà présent ?
On pourrait se questionner pareillement sur l’ensemble de « révélation chrétienne » . Est-elle la « divine surprise », ce qui n’est jamais monté au cœur de l’homme » , ou alors, pour se référer à René Girard, relève-t-elle de ces « choses cachées depuis la fondation du monde » qu’il suffirait de mettre en lumière pour les faire apparaître? En d’autres termes, le catéchète doit-il enseigner les rudiments de la foi aux enfants qui l’ignorent ou doit-il réveiller ce qui les habite déjà ? Volontairement, je laisse la question ouverte.
Fr.Guy Musy op