Le 1er août 1996, Pierre Claverie, o.p. évêque d’Oran, était assassiné, en compagnie d’un jeune Algérien musulman. Leur mort, sangs mêlés, est un grand symbole. Né en 1938, à Bab el-Oued, dans ce qu’il appelait volontiers la « bulle coloniale », Pierre Claverie a passé sa vie à aller à la rencontre de l’autre, s’efforçant de dépasser les barrières que la race, la religion et les drames du passé dressent entre les hommes. Face à la montée du fondamentalisme et de la violence qui endeuille l’Algérie depuis maintenant dix ans, cet homme chaleureux, doué pour la rencontre, a choisi de rester et de dénoncer le rejet de l’autre, au risque de sa vie. « Nous sommes « donnés » à ce pays et à ce peuple avec lequel nous lie une alliance d’amitié que rien, même la mort, ne pourra briser. » En cela, il voulait être un disciple du Christ, pour qui le choix du « plus grand amour » est de « donner sa vie pour ses amis ». Son combat pour ‘une humanité plurielle, non exclusive » rend son parcours exemplaire pour notre temps.
À ceux qui se sont interrogés sur son refus obstiné de quitter une Algérie en plein chaos et menaçante, il expliquait, deux mois avant son assassinat, lors d’une homélie au monastère des dominicaines de Prouilhe (France).
« Nous sommes là-bas à cause de ce Messie crucifié. À cause de rien d’autre et de personne d’autre! Nous n’avons aucun intérêt à sauver, aucune influence à maintenir. Nous ne sommes pas poussés par quelque perversion masochiste. Nous n’avons aucun pouvoir, mais sommes là comme au chevet d’un ami, d’un frère malade en silence, en lui serrant la main, en lui tenant le front. À cause de Jésus parce que c’est lui qui souffre là, dans cette violence qui n’épargne personne, crucifié à nouveau dans la chair de milliers d’innocents.
Comme Marie, sa mère et saint Jean, nous sommes là au pied de la Croix où Jésus meurt abandonné des siens et raillé par la foule. N’est-il pas essentiel pour le chrétien d’être présent dans les lieux de souffrance, dans les lieux de déréliction, d’abandon ?
Où serait l’Église de Jésus-Christ, elle-même Corps du Christ si elle n’était pas là d’abord? Je crois qu’elle meurt de n’être pas assez proche de la Croix de son Seigneur. Si paradoxal que cela puisse paraître, et saint Paul le montre bien, la force, la vitalité, l’espérance chrétienne, la fécondité de l’Église viennent de là. Pas ailleurs, ni autrement.
Elle se trompe, l’Église, et elle trompe le monde, lorsqu’elle se situe comme une puissance parmi d’autres, comme une organisation humanitaire ou comme un mouvement évangélique à grand spectacle. Elle peut briller, elle ne brûle pas du feu de l’amour de Dieu, « fort comme la mort » comme le dit le Cantique des cantiques. Car il s’agit bien d’amour ici, d’amour d’abord et d’amour seul. Une passion dont Jésus nous a donné le goût et tracé le chemin. “Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime”… »
Mgr Pierre Claverie, évêque d’Oran, Algérie
Dans J.J. Pérennès. Pierre Claverie. Un Algérien par alliance. Cerf, 2000. p. 364-365