La Parole de Dieu s’est faite chair en vue de converser avec l’humanité et de pouvoir lui parler un langage que celle-ci soit capable de comprendre. La Parole de Dieu s’est donc faite parole humaine et s’adresse à nous avec les mots qu’emploient les langues humaines. Avant et afin de pouvoir se traduire en toutes les langues de la terre, elle accomplit cette première traduction, fondatrice de toutes les autres : elle exprime les mystères de Dieu en mots humains.
Or nous savons que nous ne parlons pas seulement par les mots que nous employons, mais aussi par les expressions de notre visage, par le ton de notre voix, douce et bienveillante ou colérique et tranchante. Plus encore, tout notre corps est parlant et nous communiquons par tous les organes de celui-ci, aussi bien pour recevoir une nouvelle que pour la donner.
Il y a de même dans notre langage corporel plusieurs niveaux, celui qui exprime notre sensibilité d’un moment et celui de notre comportement général, bien repérable de ceux qui nous connaissent et comparent instinctivement ce que nous sommes aujourd’hui avec ce que nous sommes de manière générale. Tout cela appartient à notre langage, et plus profondément à notre personnalité, à notre manière d’être et de nous faire connaître des autres.
Le Verbe de Dieu, devenant Jésus de Nazareth, est entré lui aussi dans l’entrelacs de ces jeux du langage et de la communication. On peut dire que toute sa vie fut la traduction dans le langage de l’existence des hommes de ce qu’il est de toute éternité dans le mystère même de Dieu. Jésus ne pouvait donc pas nous révéler ce mystère à travers une existence banale, médiocre ou vulgaire, encore moins pécheresse. Il ne suffisait pas qu’il assumât en vérité tous les aspects de notre condition humaine, bref qu’il fût un vrai homme ; il fallait aussi qu’il pût exprimer en vérité ce qu’est l’homme dans le dessein de Dieu, bref il fallait qu’il fût un homme vrai.
Tout au long de l’histoire, bien des historiens et des théologiens ont essayé de récapituler ce qui est exceptionnel et unique en Jésus et qui en même temps est d’une simplicité proprement humaine. Cet ouvrage s’inscrit dans cette longue tradition de recherche et de vulgarisation.
Jésus est avant tout un homme qui est toute lumière, dont le oui est un oui et le non est un non, selon ce qu’il a demandé lui-même. Jésus est un homme dans lequel il n’y a pas la moindre distance entre ce qu’il dit et ce qu’il fait, entre ce qu’il proclame et ce qu’il est. Il fait ce qu’il dit, et il dit ce qu’il fait.
Jésus ne peut vivre une vie humaine sans partager tous les traits qui viennent de la particularité des lieux, des temps, de la culture et des personnes rencontrées. Aussi bien ne fait-il rien pour abstraire sa parole et ses actions du contexte et de l’environnement de la vie des simples gens de Palestine.
C’est cette «excellence» proprement humaine de Jésus qui fait l’objet de ce livre, une excellence qui est sans doute ordonnée à nous faire reconnaître en lui plus que l’homme, le propre Fils de Dieu, une excellence qui nous révèle la prodigieuse affinité entre l’homme et Dieu. Mais c’est proprement l’humanité de Jésus, sa manière de vivre en homme, telle qu’elle s’est révélée à nous dans le quotidien de son existence que ces pages voudraient esquisser, à partir de l’expérience de ceux et celles qui l’ont rencontré, ont partagé sa vie et ont cherché à nous dire quel homme il fut. Car son témoignage a été donné au sein de notre monde, tel qu’il a toujours été, marqué par toute sa part de refus et de péché.
Bernard Sesboüé, S.J., est un des grands théologiens contemporains, professeur émérite au Centre Sèvres à Paris.
SESBOÜE, Bernard, Jésus. Voici l’homme, Éditions Salvator, 2016.