L’Angleterre dans laquelle ont vécu Jean Fisher et Thomas More avait commencé par un triomphe de la foi. Henry VIII s’était dissocié de l’Allemagne luthérienne; il avait même rédigé une Réfutation des principes de Luther et de la Réforme. Mais il était fils d’un usurpateur et croyait sa dynastie menacée, s’il mourait sans laisser un héritier mâle. D’où sa volonté de rompre son premier mariage avec Catherine d’Aragon, qu’il aimait bien pourtant, et d’en contracter un nouveau. Mais, comme tous les rois, il avait contre lui son orgueil, un caractère passionné et des courtisans intéressés à le décevoir et à s’emparer, grâce à lui, des biens de l’Église.
En face de lui, il trouva deux chrétiens admirables, Thomas More, fils d’un juge et président du Parlement; et Jean Fisher, précepteur des fils que le roi n’avait malheureusement pas eus. L’un et l’autre très érudits, amis des sciences et, par ailleurs, fort saints, résistèrent non pas à la volonté du roi de prendre une autre femme – ce qui pouvait se discuter – mais à sa volonté de se constituer lui-même chef de l’Église d’Angleterre. Rome, pour sauver la vie de Jean Fisher, déjà prisonnier, le nomma cardinal, mais Henri VIII hâta son exécution. Le 22 juin 1535, ayant déposé son cilice maintenant inutile, il monta à l’échafaud en chantant le Te Deum. Thomas More, de son côté, après avoir affirmé qu’il ne connaîtrait jamais que le véritable successeur de Pierre monta sur l’échafaud le 6 août 1535, continuant une nouvelle lignée de martyrs.
Avec la mort de Jean Fisher et de Thomas More, l’Angleterre allait connaître une période de persécutions religieuses, de controverses et de schismes. À peu près tout ce qui s’était construit en pays anglo-saxon, depuis le temps de saint Augustin de Cantorbéry et de Bède le Vénérable allait être répudié, les monastères pillés les sanctuaires détruits et des milliers de catholiques épiés, dénoncés, emprisonnés torturés, décapités. Seules les guerres de religion et la Révolution française donnèrent en Europe un plus désolant spectacle. L’esprit chrétien semblait n’exister plus que chez les saints et les martyrs; chez les autres le scepticisme et la libre pensée religieuse commençaient d’occuper toute la place. On laissait la religion aux femmes et aux enfants: les intellectuels, ébranlés par les progrès de l’humanisme séculier, imaginèrent que le salut de l’humanité était de ce côté et dans cette direction seulement. Le règne de l’athéisme, d’abord pacifique, puis militant, allait commencer.
Le seul principe d’unité et d’autorité dans l’Église est le successeur de Pierre; mais pour le voir, il faut la foi dans la parole du Christ, et c’est cette foi qui s’effrite la première dans les temps difficiles. Même après avoir multiplié les signes et les prodiges, Jésus ne convainquit pas un peuple incroyant; de très saints papes ne convaincront pas davantage Henri VIII ni Napoléon Ier.