Le professeur de violon de nos enfants ne manquait pas d’humour. Pour dire le vrai, il prêchait le faux :
– Vous n’avez pas besoin de pratiquer votre instrument tous les jours ; seulement les jours où vous mangez !
Ce n’est pas sans rappeler l’injonction un peu plus sévère de Saint Paul :
– Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus ! (2 Thess, 3.10)
Autant dire que le travail est une nécessité aussi vitale que la nourriture. Et si l’on perd de vue son importance dans notre vie, il vaut mieux en « raccrocher » l’idée à un impératif auquel ne peut se soustraire l’humain : le pain quotidien.
Loin de moi l’idée de traiter aujourd’hui de l’importance du travail dans nos vies mais bien davantage l’idée d’indexer notre vie spirituelle aux gestes indispensables de notre vie quotidienne. Sœur Jeanne d’Arc Decelles, qui fut catéchète à la paroisse des Saints-Martyres-Canadiens, nous confia que lors de sa formation spirituelle dans la Congrégation de la Présentation de Marie, on lui avait conseillé de penser à Dieu chaque fois qu’elle montait un escalier : cela lui rappelait l’image de l’âme qui s’élève par de telles pensées.
Un grand mystique assez peu connu du XVIIe s., frère Laurent de la Résurrection, avait atteint à un point remarquable la pratique de la prière continuelle et de la présence de Dieu en cultivant précisément cette préoccupation entremêlée aux activités les plus humbles et les plus banales de la vie quotidienne. Cuisinier chez les Carmes de la rue de Vaugirard à Paris, il brisait continuellement la frontière entre vie spirituelle et activités quotidiennes : « Je retourne ma petite omelette pour l’amour de Dieu… » confiait-il dans les lettres qui nous sont parvenues.
Plus récemment, du côté de nos amis et frères orthodoxes, le père Marc-Antoine Costa de Beauregard vient de publier Prie comme tu respires, dans la grande tradition de la prière hésychaste. Le titre dit tout : la respiration, la nourriture, les travaux et les jours, tout peut être l’occasion d’en faire le réceptacle de la présence du Christ en nous.
Dans notre famille, église domestique et première communauté de base, les gestes du quotidien ne manquent pas non plus pour nous rappeler la transcendance la plus haute au cœur de nos gestes les plus humbles et les plus répétitifs. Là où est la vie, là peut être l’occasion cachée d’une plus grande conscience, celle de Dieu qui nous accompagne « tous les jours jusqu’à la fin du monde ».