Le retour aux sources, la recherche des origines et le respect des traditions constituent des pôles importants dans la vie des individus et des sociétés. Deux films récents suscitent ce questionnement sur les racines, et ce, sous des angles différents. Dans sa production SILENCE, le colossal réalisateur Martin Scorsese centre sa réflexion sur le tandem foi et inculturation dans une lointaine mission des Jésuites. Pour sa part, le prometteur Garth Davis relate dans LION l’histoire véridique d’un jeune homme, né quelque part en Inde et adopté par un couple australien, qui s’efforce de retrouver sa famille et son village originels.
SILENCE
Au carrefour de THE MISSION et APOCALYPSE NOW, cette adaptation du roman de Shusaku Endo marque un point d’orgue dans le volet spirituel de l’œuvre de Scorsese (après THE LAST TEMPTATION et KUNDUN). Sous le signe de l’exaltation du martyre – une problématique hélas très actuelle -, le film fascine par l’intelligence de ses questionnements religieux et moraux, et son exploitation du thème fécond du silence de Dieu.
Au XVIIe siècle, les jésuites Sebastiao Rodriguez et Francisco Garrpe convainquent leur supérieur de les laisser partir au Japon à la recherche de leur mentor, le père Ferreira. Car les deux prêtres refusent de croire les divers rapports indiquant que ce dernier aurait renié sa foi et pris épouse après avoir échoué dans sa mission d’évangélisation.
Mais peu après leur arrivée, les jeunes missionnaires sont témoins des cruelles méthodes du grand Inquisiteur pour obtenir l’apostasie des fidèles, la religion chrétienne ayant été sévèrement proscrite sur tout le territoire japonais. Pour éviter d’être arrêtés, Garrpe et Rodriguez prennent des chemins différents.
Trahi par un excentrique chrétien apostat qui leur servait de guide, le père Rodriguez est livré au grand Inquisiteur. S’ensuit un procès au cours duquel le jeune jésuite voit ses convictions chrétiennes mises à rude épreuve.
Sans se départir tout à fait des effets de style habituels de Scorsese (voix off, caméra subjective très fluide, contreplongées vertigineuses), la mise en scène se signale par sa surprenante retenue. Ce qui n’empêche pas le directeur photo Rodrigo Prieto de composer de magnifiques tableaux vivants avec un art consommé du clair-obscur, ou des plans saisissants de tortures et de mises à mort d’une invention sadique et bouleversante.
Très habité, Andrew Garfield se livre à de passionnants débats théologiques avec un Liam Neeson sobre et un Issey Ogata étonnamment comique en machiavélique inquisiteur.
LION
Dans son premier film, l’Australien Garth Davis réalise ici une adaptation sensible du livre autobiographique de Sarco Brierley.
Inde, 1986. Le petit Saroo, cinq ans, est séparé de son grand frère Guddu sur un quai de gare. Ne le voyant pas revenir, il s’endort sur la banquette d’un train vide. L’engin se met en branle et le catapulte au cœur de Calcutta, à 1600 kilomètres de chez lui. Condamné à l’errance et ne parlant pas la langue, Saroo s’extirpe de divers pièges funestes avant d’être recueilli par une organisation caritative. Il caresse toujours l’espoir de rentrer chez lui, mais comme il est incapable d’identifier sa province de provenance et de fournir le nom de sa mère veuve, les recherches sont vaines.
Quelques mois plus tard, il est adopté par un couple sans enfants de Tasmanie, qui l’élève avec amour et fierté. Vingt ans plus tard, alors qu’il étudie l’hôtellerie à Melbourne, Saroo éprouve une envie soudaine de retrouver la trace de sa mère, de son frère et de sa petite sœur. Mais comment s’y prendre? Un ami de sa copine lui parle d’une application Web révolutionnaire, du nom de Google Earth.
S’il ne possède pas l’humour spirituel de SLUMDOG MILLIONNAIRE ou sa structure narrative complexe, le récit égale le film de Danny Boyle en puissance lacrymogène, ce que Davis ne manque pas de souligner à chaque tournant, à grands renforts d’envolées pianistiques.
Par contre, le lien de parenté entre les deux films est du reste consolidé par la présence de Dev Patel au générique de chacun. Sa composition solide est cependant éclipsée par celle de Sunny Pawar, criant de vérité dickensienne en petit sans-famille. Les scènes le montrant égaré dans la mer humaine de Calcutta sont les plus fébriles et puissantes du film.
Gilles Leblanc