Auteur : Pierre Claverie, dominicain et évêque, né à Alger en 1938 et assassiné à Oran le 1er août 1996 aux côtés de Mohamed Bouchikhi, un jeune algérien musulman de 20 ans. Engagé avec passion en faveur du dialogue entre les croyants, il fut surnommé par ses amis algériens “l’évêque des musulmans”.
Frères et amis.
Nous sommes des nomades ;
beaucoup d’entre vous le sont à cause de leur travail,
quelques-uns du fait des circonstances
qui les ont obligés à se déraciner,
tous nous le sommes spirituellement.
La foi est mouvement vers Dieu :
elle répond à l’appel irrésistible de son amour
et nous entraîne à sortir de nous-mêmes
pour aimer comme Dieu a montré qu’Il aimait Jésus-Christ.
Mouvement vers Dieu,
la foi est aussi mouvement vers l’autre
qui appelle et attend notre amour,
auquel Dieu nous envoie pour manifester son propre amour.
Cet amour nous l’avons connu
et nous y avons cru ;
nous l’avons vu à l’œuvre dans la vie de Jésus
et de ceux qui vivent de son Esprit.
Il nous a saisis et entraînés.
Nous croyons qu’il peut renouveler la vie de l’humanité
pour peu qu’elle le reconnaisse.
Mais comment le reconnaîtrait-elle
si elle n’était pas mise en présence d’authentiques témoins ?
Dieu nous a donné de connaître son Christ
pour que nous soyons ses témoins.
Envoyés par Lui,
là où nous sommes et vivons,
le premier acte de notre mission sera d’accueillir
et de laisser habiter en nous cet amour.
Avant de parler,
au risque de n’être que des cymbales retentissantes,
des hypocrites et des menteurs,
nous sommes appelés à donner chair
à l’Esprit de Dieu dans un cœur ouvert,
« un cœur qui écoute ».
Mais comment écouter
si nous sommes pleins de nous-mêmes,
de nos richesses matérielles ou intellectuelles,
si nous nous répandons dans le monde avec suffisance,
si nous écrasons les autres de notre puissance ?
Notre chance, en Algérie,
est d’être assez démunis – mais l’est-on jamais assez ? –
de nos richesses, de nos prétentions et de notre suffisance,
pour pouvoir entendre, accueillir, partager du peu que l’on a.
Remercions Dieu
lorsqu’il rend son Église à la simple humanité,
sans costumes d’apparat ou d’emprunt,
sans fards ni clinquants dérisoires.
Réjouissons-nous
de tout ce qui peut nous rendre accueillants et disponibles,
plus soucieux de nous donner que de nous défendre.
Le disciple envoyé par le Christ
est l’homme dans sa simple humanité,
l’homme léger, disponible,
dépouillé de tout ce qui l’encombre et l’alourdit.
L’homme qu’on ne confond pas avec son argent,
ses diplômes, ses décorations…
Disponible pour aimer,
au prix de ce qu’il a de plus précieux, sa vie.
Extraits de la première homélie de Mgr Claverie,
le jour de son intronisation le 9 octobre 1981 en la cathédrale d’Oran.