Auteur : Jacques Bénigne Bossuet, né à Dijon en 1627 et mort à Paris en 1704, possèdait tous les talents d’un rhéteur accompli et génial, modèle d’éloquence et de maîtrise. Surnommé “l’Aigle de Meaux”, il fut le précepteur du Dauphin, fils de Louis XIV et fut également élu à l’Académie française. Il eut dans un Sermon cette prière fameuse : “Priez seulement cet Esprit, qui souffle où il veut, qu’il veuille répandre sur mes lèvres ces deux beaux ornements de l’éloquence chrétienne : la simplicité et la vérité.”
Pour goûter cette joie céleste, fuyez ces joies qui nous sont laissées pour notre supplice. Gaudio dixi : Quid frustra deciperis? Cette joie qui commence à naître ; tu n’es plus maîtresse de tes désirs, tu ne possèdes plus ta volonté : crains cette joie. Je te vois verser un torrent de pleurs; tu n’oses lever la tête : ah ! si tu avais connu la séduction de la joie ! Quid frustra deciperis? Et toi qui as tendu à ton ennemi d’imperceptibles lacets, pièges invisibles , tu as dit : Qui nous verra ? Il est tombé à tes pieds ; triomphe du cœur : Frustra deciperis. Tu effleures la peau ; à toi le poignard dans le sein. Défiez-vous donc de la joie qui vient des sens ; car il en est comme de ces villes qu’on prend dans une fête. On feint une paix : joie partout : tout d’un coup le feu, l’épée, le carnage. On commence à dire : Malheureuse joie ! Il n’est plus temps; il faut périr. Il fallait avoir connu auparavant que le ris est une erreur, et dire à la joie : Tu t’es vainement trompée. Quand donc une joie soudaine et trop vive ; la vapeur monte à la tête, on s’enivre ; c’est l’ennemi qui veut te perdre.
La vie humaine est semblable à un chemin dont l’issue est un précipice affreux. On nous en avertit dès le premier pas ; mais la loi est portée, il faut avancer toujours. Je voudrais retourner en arrière. Marche ! marche !
Un poids invincible, une force irrésistible nous entraîne. Il faut sans cesse avancer vers le précipice. Mille traverses, mille peines nous fatiguent et nous inquiètent dans la route. Encore si je pouvais éviter ce précipice affreux ! Non, non, il faut marcher, il faut courir : telle est la rapidité des années. On se console pourtant parce que de temps en temps on rencontre des objets qui nous divertissent, des eaux courantes, des fleurs qui passent. On voudrait s’arrêter : Marche ! marche !
Et cependant on voit tomber derrière soi tout ce qu’on avait passé ; fracas effroyable ! inévitable ruine ! On se console, parce qu’on emporte quelques fleurs cueillies en passant, qu’on voit se faner entre ses mains du matin au soir et quelques fruits qu’on perd en les goûtant : enchantement ! illusion ! Toujours entraîné, tu approches du gouffre affreux : déjà tout commence à s’effacer ; les jardins moins fleuris, les fleurs moins brillantes, leurs couleurs moins vives, les prairies moins riantes, les eaux moins claires : tout se ternit, tout s’efface. L’ombre de la mort se présente ; on commence à sentir l’approche du gouffre fatal. Mais il faut aller sur le bord. Encore un pas : déjà l’horreur trouble les sens, la tête tourne, les yeux s’égarent. Il faut marcher, on voudrait retourner en arrière ; plus de moyens : tout est tombé, tout est évanoui, tout est échappé.
Je n’ai pas besoin de vous dire que ce chemin, c’est la vie ; que ce gouffre, c’est la mort. Mais la mort finit tous les maux passés, et se finit elle-même ? Non, non : dans ces gouffres, des feux dévorants, grincements de dents, un pleur éternel, un feu qui ne s’éteint pas, un ver qui ne meurt pas. Tel est le chemin de celui qui s’abandonne aux sens , plus court aux uns qu’aux autres. On ne voit pas la fin. Quelquefois on tombe sans y penser et tout d’un coup. Mais le fidèle de Jésus-Christ, qui l’accompagne toujours, il méprise ce qu’il voit périr et échapper. Au bout, près de l’abîme, une main invisible le transportera ; ou plutôt il y entrera comme Jésus-Christ, il mourra comme Jésus-Christ, pour triompher de la mort. Quiconque a cette foi est heureux. Joie de Jésus-Christ ressuscité, qui dégoûte des joies qui passent, et qui donnera la joie éternelle, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.