02 Criez de joie pour Dieu, notre force, acclamez le Dieu de Jacob.
03 Jouez, musiques, frappez le tambourin, la harpe et la cithare mélodieuse.
04 Sonnez du cor pour le mois nouveau, quand revient le jour de notre fête.
05 C’est là, pour Israël, une règle, une ordonnance du Dieu de Jacob ;
06 Il en fit, pour Joseph, une loi quand il marcha contre la terre d’Égypte. J’entends des mots qui m’étaient inconnus : +
07 « J’ai ôté le poids qui chargeait ses épaules ; ses mains ont déposé le fardeau.
08 « Quand tu criais sous l’oppression, je t’ai sauvé ; + je répondais, caché dans l’orage, je t’éprouvais près des eaux de Mériba.
09 « Écoute, je t’adjure, ô mon peuple ; vas-tu m’écouter, Israël ?
10 Tu n’auras pas chez toi d’autres dieux, tu ne serviras aucun dieu étranger.
11 « C’est moi, le Seigneur ton Dieu, + qui t’ai fait monter de la terre d’Égypte ! Ouvre ta bouche, moi, je l’emplirai.
12 « Mais mon peuple n’a pas écouté ma voix, Israël n’a pas voulu de moi.
13 Je l’ai livré à son coeur endurci : qu’il aille et suive ses vues !
14 « Ah ! Si mon peuple m’écoutait, Israël, s’il allait sur mes chemins !
15 Aussitôt j’humilierais ses ennemis, contre ses oppresseurs je tournerais ma main.
16 « Mes adversaires s’abaisseraient devant lui ; tel serait leur sort à jamais !
17 Je le nourrirais de la fleur du froment, je te rassasierais avec le miel du rocher ! »
Le Ps 81 commence en évoquant la célébration liturgique de la nouvelle lune. En effet, le calendrier ancien était lunaire et les dates des fêtes étaient donc fixées en fonction du cycle de la lune. On célébrait le début du mois, c’est-à-dire la pleine lune ou néoménie (Nb 28,11-15; Is 1,13; Os 2,13; Am 8,5) que les anciens considéraient comme un jour propice aux oracles divins (2 R 4,23). La nouvelle lune était signe de renouveau et de fécondité, jour de prière par excellence. Le début du septième mois a longtemps été le jour de l’an (Lv 23,24; Nb 29,1); la fête des tentes était célébrée à la pleine lune suivante (Lv 23,34-36; Nb 29,12-39). C’est à cette dernière fête qu’on pense le plus souvent pour le Ps 81. À l’origine, la fête des tentes était une fête agricole qui se célébrait lors des vendanges. Plus tard les Israélites l’ont historicisée en lui rattachant le souvenir du séjour au désert, du don de la loi à Moïse et l’alliance au Sinaï (Lv 23,43). Cela expliquerait les allusions du psaume aux événements de l’exode et du séjour au désert.
Le genre littéraire du psaume n’est pas facile à déterminer parce qu’il est formé de deux parties différentes : une première qui est un prélude hymnique (v. 1-6) et une seconde qui est un oracle divin (v. 7-17). Certains spécialistes ont parlé d’un poème composite ou d’une compilation, mais sans doute l’auteur croyait-il que son exhortation serait mieux écoutée si elle était insérée dans les cérémonies commémorant les merveilles de l’exode et du don de la loi. Aussi, on parle volontiers d’une « exhortation prophétique à l’occasion d’une fête » ce qui est un genre littéraire assez spécial…
On a rapproché le Ps 81 du Ps 50 qui est aussi un oracle divin, mais la différence de ton est remarquable. Alors que dans le Ps 50 Dieu se présente comme un juge dans le décor menaçant d’une théophanie, ici, dans le Ps 81, il se présente comme un père déçu dans le cadre rassurant d’une communauté. Dans le Ps 50, Dieu prononce un réquisitoire sévère; dans le Ps 81, il formule un rappel à l’ordre. Dans le Ps 50, il proclame les exigences de sa justice bafouée; dans le Ps 81, il se présente comme miséricordieux.
La structure du psaume est assez claire. Un prélude (v. 2-6) introduit un oracle divin dans le style du Deutéronome (v. 7-17). La première partie est une introduction déterminant le contexte cultuel de l’oracle dont la structure est celle de l’hymne : un invitatoire ponctué de cinq impératifs et de sept termes désignant des instruments de musique (v. 2-4), suivi des motifs introduits par le conjonction « car » (v. 5-6). La seconde partie se divise en deux (v. 6-11 et 12-17) dans un rapport antithétique. Une première tranche (v. 6c-8 // 12-13) parle du passé alors qu’une seconde tranche (v. 9-11 // 14-17) parle du présent. Délivré à l’origine de son ennemi, Israël peut encore aujourd’hui être délivré de ses ennemis s’il reste fidèle à l’alliance de Yhwh. Le Dieu qui, dans le passé, a écouté le cri du peuple, exige maintenant de ce peuple qu’il écoute sa voix à lui. Dans le passé, Dieu a écouté la voix des Israélites opprimés en Égypte, mais le peuple, lui, n’a pas écouté la voix de son Dieu. La structure de tout le poème repose sur les quatre occurrences du verbe « entendre » (v. 6.9.12.14).
Commentons quelques versets. Comme au v. 5-6, le v. 2 parle de Jacob et de Joseph, souvent deux synonymes désignant le royaume du Nord. Certains ont donc cru à une origine nordique du poème, mais on pense plutôt à une désignation de tout le peuple. Tout le peuple était convoqué au son des instruments de musique mentionnés au début du psaume (v. 3-4; Nb 10.1-10). La trompette ou le cor du v. 4 se rapporte aux fêtes liturgiques, d’où sa mention ailleurs dans les acclamations en l’honneur de Dieu (Ps 47,6-7; 98,6; 150,3). Comme dans tout l’Orient ancien, le culte était donc très bruyant. Les v. 5-6 introduisent les motifs de la fête en mentionnant trois mots : « règle, ordonnance, loi », qui appartiennent au langage de la tradition sacerdotale rattaché, entre autres, à l’alliance au Sinaï. Le motif de la fête n’est pas, comme c’est souvent le cas, un bienfait de Yhwh dont il faudrait le remercier, mais un ordre divin qui aurait été donné lors de la sortie d’Égypte ou, de façon plus large, durant la période de l’exode. Au v. 6, on remarque l’expression : « quand il marcha contre la terre d’Égypte ». Ce « il » est ambigu : Dieu ou Joseph? On pense à une évocation de la bataille que Dieu engagea contre l’Égypte pour la libération d’Israël.
Le v. 6c est énigmatique. Que veut dire le psalmiste quand il affirme : « J’entends des mots qui m’étaient inconnus »? On a pensé à une glose d’un scribe qui ne comprenait pas ce qu’il lisait. Mais ce sont sans doute des mots du psalmiste pour introduire le discours de Dieu qui commence au v. 7 ou même les premiers mots de ce discours. On y a vu aussi la voix des Hébreux qui gémissaient sous le joug des Égyptiens en suppliant Dieu de les aider. Comme c’est la seule phrase à la première personne du singulier, d’autres ont pensé qu’il s’agissait d’une actualisation liturgique en ce sens que la première personne représenterait l’assemblée d’Israël qui doit écouter Dieu (v. 9.12.14). Mais si les v. 5-6b et 7-8 parlent clairement du passé de l’exode, il serait étonnant que 6c fasse une courte brèche dans le présent.
L’oracle prophétique (v. 7-17) constitue la seconde partie du psaume. Il y a d’abord un préambule théologique (v. 7-8) rappelant les merveilles de Dieu en faveur de son peuple et justifiant les reproches qu’il mérite. Ce préambule est relié au grand thème de la sortie d’Égypte. Dieu se présente comme le libérateur des Israélites esclaves en Égypte : il a ôté les fardeaux qu’ils portaient sur leurs épaules (v. 7), il les a délivrés des travaux forcés, il s’est manifesté à eux dans la théophanie du Sinaï, il leur a donné de l’eau à Mériba (v. 8). Ici, le texte ne correspond pas vraiment à ce qui est raconté dans Ex 17,1-7; Nb 20,1-13; Ps 95,8-9 où c’est le peuple qui tenta Dieu après avoir reçu le don de l’eau. Puis vient l’oracle comme tel, en trois parties unies par le thème de l’écoute (v. 9-17). L’oracle commence par l’impératif d’un verbe typiquement deutéronomiste « écoute! » Quant au verset suivant (« ô Israël, si tu pouvais m’écouter! v. 9b), ce ne sont pas les paroles d’un juge qui condamne mais d’un père (Dt 6,4-9). Comme dans le Dt, ces paroles sont suivies immédiatement du grand commandement : « Tu n’auras pas chez toi d’autres dieux, tu ne serviras aucun dieu étranger ». À la suite de cette double formulation négative vient, au v. 11, l’autoprésentation positive de Yhwh : « C’est moi le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait monter de la terre d’Égypte ». Il est à remarquer que le nom de Yhwh est mis en relation avec l’acte salvifique de la sortie d’Égypte. Selon l’alliance du Sinaï (Ex 29,46; Lv 22,32-33; 25,38; Nb 15,41), Israël s’est engagé à n’adorer qu’un seul Dieu. C’est le premier commandement (Ex 20,2-6 // Dt 5,6-10).
Il est difficile de comprendre la dernière phrase du v. 11 : « ouvre ta bouche, moi, je l’emplirai ». Certains la placent à la suite du v. 6 et comprennent que Dieu va mettre un oracle dans la bouche du prophète (2 S 23,2). Dieu y commanderait à Israël d’ouvrir la bouche pour qu’il la remplisse de sa parole. Selon d’autres, le texte se réfère plus probablement à la nourriture miraculeuse donnée au peuple après sa sortie d’Égypte (Ex 16 // Nb 11).
Dans les v. 13-16, le psalmiste passe des suffixes au singulier, représentant Israël, à des suffixes au pluriel désignant les Israélites. Le v. 13 affirme que la punition de Dieu a été d’abandonner Israël à ses caprices. Israël livré à lui-même, comme il le désirait, voilà la punition suprême infligée par Yhwh à son peuple ingrat! À partir du v. 14 les modifications de ton et de thème indiquent un changement d’interlocuteur. En écho au v. 9, Yhwh s’adresse maintenant à l’Israël d’aujourd’hui, engagé lui aussi sur le voie de l’infidélité. C’est une invitation à tenir compte des leçons du passé et à obéir, afin de ne pas le contraindre à sévir encore. Dieu se montre plus soucieux des intérêts d’Israël qu’il ne l’est lui-même. Pour convaincre son peuple, Dieu lui présente les avantages qu’il en retirerait. Ses ennemis seraient humiliés et il le délivrerait de ses oppresseurs (v. 15), puis viendrait une prospérité extraordinaire (v. 17). Cette prospérité est caractérisée par deux métaphores complémentaires : la fleur de farine (Lv 2) qui servait à la confection des pains rituels et passait pour la nourriture idéale des humains; puis le miel du rocher (1 S 14,25; Mt 3,4) qui, avec le lait des troupeaux, caractérise la fertilité de la terre. Il y a continuité entre les nourritures miraculeuses du désert et les abondantes moissons de la terre promise qui récompense la fidélité d’Israël. La vie quotidienne des fils d’Israël prend son sens en référence à la période originelle qu’elle doit en quelque sorte reproduire. On a remarqué que le psaume finit de façon abrupte. Les versets de conclusion seraient-ils perdus? N’est-ce pas plutôt pour montrer que la porte reste ouverte et que Dieu est toujours prêt à accueillir qui veut revenir à lui? Le Dieu qui manifesta sa puissance quand il fit sortir son peuple d’Égypte l’exercera encore en sa faveur si Israël écoute sa voix et observe ses commandements. Dieu est un Dieu jaloux qui n’accepte pas de concurrent.
Le Ps 81 n’est jamais cité dans le Nouveau Testament. Saint Augustin applique les v. 7-8 à la conscience chrétienne libérée de ses péchés et libres pour servir Dieu. Parlant de l’infidélité du peuple invité à revenir à Dieu, saint Ambroise et saint Thomas d’Aquin la mettent en parallèle avec la parabole de l’enfant prodigue de Lc 15. Saint Thomas remarque qu’aimer le Père en refusant de s’éloigner de Dieu, c’est la meilleure façon de s’aimer soi-même, car le Père aime alors le Fils comme quelque chose de lui-même. « Dieu qui as fait remonter le Christ du royaume des morts et qui as ainsi déchargé nos épaules du poids de nos fautes, ne nous livre pas à nos cœurs endurcis, mais apprends-nous à n’écouter que toi. Ouvre notre bouche à te chanter et rassasie-nous de ton pain » (de la BJ).
Ce psaume a ceci de fort intéressant qu’il parle de la nature même de la liturgie qui n’est pas répétition, mais actualisation et renouvellement. Une authentique liturgie permet de renouveler son engagement dans la relation. Dieu a libéré son peuple et lui a donné la loi. Dans le temps liturgique, la communauté retourne donc aux origines et revit les événements primordiaux qui ont donné naissance au peuple. Puis chacun est invité à s’auto-évaluer et à faire les ajustements nécessaires, au besoin, pour mieux repartir.
Hervé Tremblay o.p.
Collège universitaire dominicain
Ottawa, ON