Manchots, boiteux et borgnes… dans le Royaume!
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 9,38-43.45.47-48.
En ce temps-là, Jean, l’un des Douze, disait à Jésus : « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. »
Jésus répondit : « Ne l’en empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ;
celui qui n’est pas contre nous est pour nous.
Et celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense.
« Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer.
Et si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la. Mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux mains, là où le feu ne s’éteint pas.
Si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le. Mieux vaut pour toi entrer estropié dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux pieds.
Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans le royaume de Dieu que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux yeux,
là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas.
COMMENTAIRE
Il n’y a pas si longtemps, des parades avaient lieu dans les rues de Belfast, en Irlande du Nord : des parades jugées alors offensantes par les catholiques de là-bas. La ferveur loyaliste des Orangistes provoquait ainsi le parti adverse, attisant le feu d’une vieille querelle qui ne s’éteint toujours pas, où se mélangent traditionnellement, on le sait, foi et politique.
Il n’est – par ailleurs – pas une journée sans qu’on évoque la difficile cohabitation du monde arabe et musulman avec les Juifs ou les chrétiens au Moyen-Orient ou ailleurs. De part et d’autre, il y a un malaise devant une difficile voire impossible convivialité. En dépit des intolérances extrêmes, on se prend à rêver d’une mise en commun des ressources et des énergies qui produiraient un mieux être économique et social pour tant de gens.
Plus proche encore de nous, il y a ces regroupements de paroisses qui ont cours dans notre diocèse de Québec et cette obligation conséquente d’ouvrir nos fenêtres, de partager éventuellement nos ressources, d’accepter l’extension de l’autorité pastorale au-delà d’une seule paroisse traditionnelle.
Voilà autant de problèmes ou de situations que la Parole de ce dimanche nous demande de visiter. Elle nous propose carrément de prendre un chemin d’humilité et de détachement qui nous fera sortir de notre petit monde clos, qui nous libèrera de nos réflexes d’exclusivité.
L’Évangile nous suggère de porter un regard positif sur le monde qui nous entoure. Elle nous invite à quitter nos préjugés accumulés sur les personnes. Devant ceux et celles qui proviennent d’un horizon culturel différent du nôtre ou d’une tradition spirituelle étrangère à la nôtre, nous sommes portés à reculer, à vouloir nous distinguer à tout prix. Nous prenons spontanément nos distances. Nous avons peur. Nous sommes jaloux, peut-être ? Jésus nous demande d’être plutôt attentifs à la pleine réalité pour juger mieux de la valeur des fruits. Il nous propose de capitaliser sur le bien qui se fait, de nous situer dans la perspective du Royaume en train d’advenir, en voie de s’accomplir. Il faut voir l’Esprit à l’œuvre tout près de nous, en nous, comme aussi plus loin et jusque dans les croyances ou les religions différentes des nôtres, et à plus forte raison dans les communautés chrétiennes du voisinage. Il s’agit pour nous de reconnaître que Dieu est là aussi et de prendre garde que son Esprit nous trouve apeurés ou dédaigneux, trop frileux, réfugiés dans quelque bulle, refusant de voir l’évidence de son action.
En toutes circonstances donnons d’abord la chance au coureur. Ne fermons pas les yeux, refusant de voir des hommes et des femmes en train de vivre l’Évangile alors qu’ils prennent en main leur destin. Comme chrétiens, nous devons composer avec ceux et celles qui travaillent pour la justice, la paix, les changements sociaux, le mieux-être des démunis. Ils sont nombreux à côté de nous à se dévouer pour l’humain. Il nous faut les rejoindre à cause de l’Esprit commun qui nous anime. Le disciple du Christ ne doit pas se comporter en étranger de ce qui est humain. Il se doit d’être ouvert d’esprit, attentif à discerner l’œuvre de grâce en train de s’accomplir, pour y participer généreusement.
En cette eucharistie nous portons la blessure de ruptures cultivées depuis longtemps. Qu’elles soient guéries dans l’amour de celui qui nous a aimés jusqu’à donner sa vie. Dans son Fils, le Père nous a libérés du mal et de la mort. Soyons donc, au nom du Christ Jésus, l’Église libre, fraternelle et juste, tolérante jusqu’à s’associer partout d’instinct à ceux et celles qui déjà sur le terrain portent les couleurs du Royaume.