Pour bien des personnes, l’engagement religieux constitue une entrave à la liberté personnelle. Pour d’autres, c’est plutôt un cadre qui facilite la réalisation de leurs aspirations profondes. Deux films québécois récents abordent cette problématique. Dans LA PASSION D’AUGUSTINE, la réalisatrice Léa Pool fait le portrait d’une religieuse qui trouve dans la musique une source de réalisation de soi. Pour sa part dans FÉLIX ET MEIRA, Maxime Giroux décrit le drame existentiel d’une jeune dame qui veut s’affranchir des obligations maritales qui lui imposent sa religion juive.
LA PASSION D’AUGUSTINE
Léa Pool signe ici son œuvre la plus achevée par une facture nette et précise aux décors et aux éclairages justes et naturels. Alors qu’une crise sur la laïcité au Québec se déploie ces temps-ci, LA PASSION D’AUGUSTINE met de l’avant les sacrifices des religieuses dévouées, reléguées aux oubliettes, isolées du monde par devoir ou par vocation et qui ont consacré leur existence à l’éducation des jeunes.
Au tournant des années 1960, on se retrouve dans un pensionnat dirigé par une congrégation religieuse, sur les rives du Richelieu. mère Augustine est la directrice de ce couvent à vocation musicale qui est menacé de fermeture dans la foulée de la création du ministère de l’Éducation.
Pour la première partie du film, l’action se déroule dans un environnement plutôt rigide. Malgré la qualité de l’instruction reçue par les jeunes filles, il y a bien peu d’espace de liberté. Puis petit à petit, le scénario se déploie. Les religieuses lourdement drapées dans leur costume ont elles aussi soif d’une certaine liberté. C’est l’époque des premiers mouvements féministes et, bien sûr, de la fin de la mainmise de l’Église sur l’instruction publique.
La vocation musicale du couvent n’est évidemment pas un hasard. La musique étant justement un refuge et un mince espace de liberté, tant pour les élèves que pour certaines des enseignantes. Le vent de changement auquel font face les religieuses est également incarné par le personnage de la jeune étudiante Alice (Lysandre Ménard), la nièce de mère Augustine, qui entre dans cette école avec un esprit libre et une révolte adolescente qui crée des tensions.
Cette jeune pianiste, dont c’est la première expérience au cinéma, crève l’écran. Ses interprétations au piano sont sublimes. Avec Céline Bonnier qui joue avec justesse le rôle de la mère supérieure, les deux femmes nous offrent les scènes les plus touchantes du film de la réalisatrice d’origine suisse.
FÉLIX ET MEIRA
Il n’y a strictement rien de spectaculaire dans ce nouveau film de Maxime Giroux même s’il s’agit d’une production inspirée, ouverte et généreuse. Évitant le cliché facile, le réalisateur propose une étude fascinante, dans laquelle Meira et Félix portent le poids de leur condition culturelle.
Issu d’une famille bourgeoise, Félix se rend d’abord au chevet de son vieux père mourant. À couteaux tirés avec l’aïeul pendant des années, le fils ne cherche pourtant pas à régler des comptes ni à soutirer un quelconque bénéfice. Il est plutôt là par décence élémentaire. Sa nature désabusée l’entraîne à mener une vie peu exigeante sur le plan matériel, dans un quartier montréalais où cohabitent plusieurs citoyens issus des communautés culturelles.
C’est d’ailleurs par hasard qu’il y croise Meira, une jeune épouse juive hassidique que Félix tente d’intéresser en utilisant son charme naturel. Or, Meira vit dans une communauté dont les règles de vie sont très strictes. La jeune femme, mère d’un bébé, suscite même l’émoi de son mari (Luzer Twersky, émouvant) quand elle ose faire tourner un vieux disque de musique «soul». Meira ayant exprimé le désir de ne plus enfanter, les femmes de sa famille ne comprennent pas non plus comment elle peut refuser son «devoir conjugal».
Tout en finesse et en subtilité, le récit s’attarde à décrire l’attirance progressive entre deux êtres issus de milieux qui ne pourraient être plus différents. Pourtant, Félix et Meira se reconnaissent pourtant d’emblée, grâce à leur façon de sortir du cadre dans lequel on les enferme.
Admirablement mis en scène, ce film, riche d’atmosphères, est aussi magnifié par la présence des deux acteurs principaux. Hadas Yaron propose une composition empreinte de retenue, et d’autant plus éloquente que l’actrice sait faire passer sur l’écran le moindre soubresaut intérieur. De son côté, Martin Dubreuil assume un côté lumineux, malgré la nature parfois plus sombre du récit.
Gilles Leblanc