Donner du temps à Pâques
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là,
les disciples qui rentraient d’Emmaüs
racontaient aux onze Apôtres et à leurs compagnons
ce qui s’était passé sur la route,
et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux
à la fraction du pain.
Comme ils en parlaient encore,
lui-même fut présent au milieu d’eux, et leur dit :
« La paix soit avec vous ! »
Saisis de frayeur et de crainte,
ils croyaient voir un esprit.
Jésus leur dit :
« Pourquoi êtes-vous bouleversés ?
Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ?
Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi !
Touchez-moi, regardez :
un esprit n’a pas de chair ni d’os
comme vous constatez que j’en ai. »
Après cette parole,
il leur montra ses mains et ses pieds.
Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire,
et restaient saisis d’étonnement.
Jésus leur dit :
« Avez-vous ici quelque chose à manger ? »
Ils lui présentèrent une part de poisson grillé
qu’il prit et mangea devant eux.
Puis il leur déclara :
« Voici les paroles que je vous ai dites
quand j’étais encore avec vous :
“Il faut que s’accomplisse
tout ce qui a été écrit à mon sujet
dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.” »
Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures.
Il leur dit :
« Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait,
qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour,
et que la conversion serait proclamée en son nom,
pour le pardon des péchés, à toutes les nations,
en commençant par Jérusalem.
À vous d’en être les témoins. »
COMMENTAIRE
La liturgie de ce dimanche nous met les pieds sur terre. Une certaine euphorie nous était facile le Jour de Pâques. Or ce matin les lectures, l’une après l’autre, viennent tempérer notre enthousiasme. Un peu comme quand l’hiver nous revient à la fin d’avril.
En fait Jésus lui-même donne le ton dans cet évangile. Il réagit devant les disciples. Eux ils croient rêver, ils veulent spiritualiser leur maître, le classer parmi les fantômes ou les esprits. Or S. Luc nous montre le crucifié dans le réalisme d’une présence physique. Son corps est le même qu’autrefois. Jésus porte les marques de ses blessures sur ses mains et ses pieds. Celui qui était mort, est bien vivant, toujours le même et si différent !
Dans les Actes des apôtres, en 1ère lecture, Pierre ne fait pas de complaisance à ses auditeurs de Jérusalem. Il leur remet sur le nez ce qu’ils ont fait à Jésus, non pas pour les écraser de culpabilité et leur attirer vengeance mais pour les responsabiliser et les éveiller à la foi. Pour qu’une saine autocritique les mène à une vraie conversion.
S. Jean dans sa 1ère lettre, en 2ème lecture, nous remet sous les yeux notre penchant au mal et la possibilité de nos dérives personnelles. En même temps qu’il nous rappelle le chemin de réconciliation et de salut qui nous est gracieusement offert dans le Christ.
En fait la parole de Dieu nous replace ce matin au cœur du mystère de Pâques, en nous rappelant que, si nous devons témoigner à notre tour de la vérité du ressuscité, nous sommes en même temps témoins des mystérieuses lenteurs de l’œuvre de salut qu’il est venu accomplir. Le même réalisme dont eurent besoin les premiers disciples, il nous faut l’avoir nous aussi. Attention de ne pas nous emballer ! Ne tombons pas dans la naïveté ! Comme si avec Pâques tout était réglé, comme s’il n’y avait plus qu’à chanter Alléluia.
Pas besoin de regarder dehors longtemps pour voir que l’hiver met du temps à finir, que notre monde est toujours dysfonctionnel, avec ses conflits, ses peurs, ses incapacités à instaurer la paix, ses injustices, la dilapidation de notre bien commun, la terre… N’allons donc pas nous réfugier dans une bulle et produire un discours qui ne serait pas pris au sérieux. Voyons le Ressuscité lui-même, comment il se montre humble et patient, insistant et proche, avec les disciples, dépendant de leur accueil et de leur compréhension. Il les forme à un sain réalisme quant à la portée immédiate de son œuvre de salut.
Ainsi nous devons comprendre, et ne pas nous en surprendre, que la résurrection n’opère pas une transformation radicale instantanée de notre monde. Pâques a ouvert une brèche sur l’enchaînement de mort qui subjuguait notre monde. Mais la victoire totale n’est pas pour tout de suite. Nous vivons dans un monde affligé encore par le péché. Nous-mêmes sommes fragiles, tourmentés par la peur et chargés de fautes. Le mal et la souffrance nous tiennent toujours. Seulement nous savons que le Christ est vivant et qu’il a ouvert un passage vers la vie. Que déjà sa joie et sa paix données aux siens porte du fruit en nous, autour de nous. La violence n’aura pas le dernier mot. Si le mal continue ses ravages, nous avons une espérance. Nous savons que le Christ en sa Pâques a porté un coup mortel à la mort.
Prenons donc nous aussi un chemin de lucidité, de conversion et de fidélité. Portons sur le terrain, jour après jour, un témoignage d’espérance. Travaillons à transformer le monde par notre amour. Dans notre univers humain, démuni et si souvent désespéré, soyons d’authentiques témoins du Ressuscité.