1 Chantez au Seigneur un chant nouveau
car il a fait des merveilles;
par son bras très saint, par sa main puissante,
il s’est assuré la victoire.
2 Le Seigneur a fait connaître sa victoire
et révélé sa justice aux nations;
3 il s’est rappelé sa fidélité, son amour,
en faveur de la maison d’Israël;
la terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu.
4 Acclamez le Seigneur, terre entière,
sonnez, chantez, jouez;
5 jouez pour le Seigneur sur la cithare,
sur la cithare et tous les instruments;
6 au son de la trompette et du cor,
acclamez votre roi, le Seigneur!
7 Que résonnent la mer et sa richesse.
le monde et tous ses habitants;
8 que les fleuves battent des mains,
que les montagnes chantent leur joie,
9 à la face du Seigneur car il vient pour gouverner la terre,
pour gouverner le monde avec justice et les peuples avec droiture.
Ce « chant nouveau » ressemble beaucoup aux Ps 96 et 97. Comme ces autres psaumes, il chante la délivrance d’Israël opérée par Yhwh, vraisemblablement encore le retour d’exil qui témoigne de la suprématie du Dieu d’Israël sur tous les peuples. Un cadre liturgique commun et des emprunts au même répertoire de formules traditionnelles expliquent pourquoi ce poème ressemble tant au Ps 96 dès le début avec « Chantez au Seigneur un chant nouveau ». Dans notre psaume, les allusions à l’histoire du salut sont toutefois plus explicites et son universalisme rappelle plusieurs passages du Deutéro-Isaïe (cf. Is 41,5; 42,10; 45,22; 49,6; 52,10). Mais plus que le Ps 96, notre Ps 98, devant l’intervention de Dieu, cherche à lui trouver un public qui l’apprécie à sa juste valeur, qui en remercie son auteur et y discerne son projet. Ce public, ce sont les nations et la nature : les nations attentives à l’œuvre entreprise par Yhwh à travers Israël; la nature qui joint ses applaudissements à ceux des nations et qui, en montrant aux humains la grandeur de leur créateur, leur fait prendre conscience de leur mission de collaborer à l’achèvement de cette œuvre.
Le Ps 98 appartient à la collection des psaumes du règne (Ps 47; 93; 95–100), apparentés aux hymnes, regroupés dans le psautier à cause de leurs affinités, de leur accent universaliste et de l’acclamation initiale qui retentit dans plusieurs d’entre eux.
La structure du poème est un diptyque (v. 1-3 // 4-9) comprenant, comme tous les hymnes, un invitatoire suivi des motifs de louange. Les invitatoires exprimés par des impératifs ou des jussifs (v. 1a et 4-9a) se correspondent. À qui s’adressent-ils? Le v. 1a ne mentionne personne, mais aux v. 4-9a le psalmiste interpelle les humains et la nature. Dans la deuxième tranche (v. 1b-3 et 9bc) se trouvent les motifs de l’hymne introduits par le « car » caractéristique. Il faut noter la (dis)proportion respective de ces parties qui confère au poème un certain équilibre : à un premier volet à invitatoire bref (v. 1a) et à motif hymnique développé (v. 1b-3) correspond un second volet à invitatoire développé (v. 4-9a) mais à motif hymnique bref (v. 9bc). La nuance théologique entre les volets est un peu différente. D’abord au point de vue territorial et social, le premier volet insiste sur la justice salvifique dans une perspective nationaliste; le second volet insiste plutôt sur la justice dans une perspective universelle. Au point de vue temporel, le premier volet se rapporte à un événement passé tandis que le second volet se rapporte à un événement à la fois présent et futur, à savoir l’établissement du règne de Dieu. Entre les motifs hymniques des deux volets il y a donc une synthèse : le particulier par rapport à l’universel dans l’espace; le passé par rapport au présent et au futur dans le temps.
Commentons quelques versets. Au v. 1 « Chantez au Seigneur un chant nouveau » est la même formule qu’en Ps 96,1 et Is 42,10. « Car il a fait des merveilles ». Il ne s’agit pas tant de la répétition des actes sauveurs du passé mais de merveilles vraiment nouvelles, plus précisément, sans doute, le retour d’exil tel un nouvel exode (cf. Is 42,10; 43,5-8). « Son bras très saint » signifie que Yhwh se révèle saint quand il démontre son pouvoir de sauver. La sainteté appliquée au bras divin n’est donc pas tant la sainteté morale de Dieu que sa toute-puissance. Dans l’expression traduite par « il s’est assuré la victoire », le pronom complément ne se réfère pas, comme on s’y attendrait, au peuple d’Israël sauvé par Dieu, mais au Seigneur lui-même qui se procure à lui-même la victoire. Dans l’abaissement de son peuple exilé et asservi, loin de Jérusalem, sans pays et sans temple, Dieu avait comme accepté de montrer publiquement sa défaite et, du coup, d’affirmer la supériorité des nations et de leurs dieux. Or, le Dieu saint s’est alors assuré les moyens de ramener Israël dans son pays et de le rendre à sa vocation par son bras qui, à l’origine de l’univers, a dompté les flots rebelles (Ps 89,10-11) et conquis la terre promise (Ps 68,8-19; 77,14-21; 78). Ainsi, le sort d’Israël et le destin du Seigneur apparaissent interdépendants. Le retour des exilés marque la maîtrise de Dieu sur l’histoire. En renversant le cours de l’histoire pour Israël, Yhwh sort de son abaissement et confirme sa royauté universelle.
Au v. 3, cette grande victoire vient du fait que Dieu « s’est rappelé… ». En effet, en Dieu le souvenir est efficace et dynamique et se manifeste dans le mémorial liturgique où il est actualisé. La suite du verset enseigne que c’est son amour et sa fidélité que Dieu s’est rappelé, non seulement en faveur d’Israël mais aussi pour la terre tout entière. Cet amour et cette fidélité sont les deux grandes vertus spécifiques de l’alliance que Dieu met en œuvre pour le salut malgré les infidélités du peuple. Il s’agit donc plus d’un amour rédempteur que de puissance dont les peuples constatent maintenant les conséquences étonnantes.
À la solennelle proclamation des actions salvifiques de Dieu succède maintenant la grande proclamation par le chœur et l’orchestre du temple (v. 4-8). Les nations apprennent qu’il y a un sauveur dans le monde et, du coup, admettent le néant de leurs divinités. Israël se réjouit et invite les nations à unir leurs louanges aux leurs. En Israël, l’événement est déjà célébré comme lors des intronisations royales (cf. 1 S 10,24; 2 S 15,10; 1 R 1,34.39; 9,41; 2 R 9,13; 11,4.12-14) ou la théophanie du Sinaï (Ex 19,16; 20,18; Ps 81,4). Il s’agit maintenant de donner à l’événement un retentissement universel tant par les chanteurs que par la variété des instruments de musique. D’abord l’orchestre du temple (v. 5-6) avec ses divers instruments de musique qui unissent leurs mélodies aux voix du chœur pour célébrer les louanges de Yhwh. Ensuite le chœur cosmique (v. 7-8). D’un geste, le chef d’orchestre invite la mer, la terre et ses habitants, les fleuves et les montagnes à s’unir au grand concert de louange qui monte en l’honneur de Yhwh. « Que les fleuves battent des mains » comme pour applaudir. Ici on suggère davantage les bruits rythmiques de la nature que les sons articulés de la voix humaine ou les harmonies de la musique instrumentale. La mer et ses poissons, la terre et les animaux, les fleuves et les rivières qui, par leurs rythmes, semblent battre des mains, les montagnes avec le bruissement de leurs forêts, bref toute la nature, devant le salut accordé par Dieu, associe, à sa façon, son hommage à celui des humains. Solidaire du destin des êtres qu’elle porte et qu’elle nourrit, la nature rend hommage non plus seulement au roi qui s’est imposé aux océans et à leur fureur lors de la création, mais au Seigneur des humains qui vient de rétablir les siens en les arrachant au pouvoir des tyrans.
Quant à l’objet de toute cette réjouissance, le voici en clair pour conclure. Le verset final (v. 9) est une proclamation de la justice eschatologique qui consiste dans la venue de Yhwh à la fin des temps. Déjà commencée par le nouvel exode de Babylone, la venue finale de Yhwh s’ouvre sur un avenir infiniment plus grand où se réalisera en plénitude le projet de Dieu. Ce sera l’aube d’une ère nouvelle où régnera la justice tant désirée. Un horizon nouveau apparaîtra où il n’y aura pas de violence, où l’oppression sera bannie, où l’ordre cosmique se répercutera dans l’ordre social. Tel est le projet de Dieu. La royauté universelle de Yhwh substitue la justice au gâchis humain, met en échec la violence des conquérants et rétablit l’ordre dans le monde.
Pour le chrétien, les merveilles de la bonté divine à l’égard d’Israël ont trouvé leur accomplissement dans l’incarnation du Verbe de Dieu. Pour gouverner les humains avec justice, Dieu leur a enfin offert en Jésus Christ la toute-puissante sainteté de la rédemption par miséricorde. Au chrétien, donc, de contempler et de célébrer la merveille de sa libération et de sa réintégration en Dieu par Jésus Christ. Au chrétien d’attendre avec plus de sécurité le second avènement de celui qui, ayant été envoyé au monde comme sauveur et non pas comme juge, viendra pour soumettre toutes choses et remettre le royaume à Dieu son Père. Le tout dans l’allégresse de toute la création enfin libérée de la corruption à laquelle elle était assujettie contre son gré et devenue participante de la liberté des enfants de Dieu. Le souffle eschatologique du psaume et son ampleur universelle l’orientent donc assez naturellement en relecture chrétienne dans le sens de l’attente de la parousie du Fils de l’homme.
Fr. Hervé Tremblay o.p.
Collège universitaire dominicain
Ottawa, ON