Le 8 février 2015
Georges Orwell, dans son livre 1984, lance cette idée abominable : «Si vous désirez une image de l’avenir, imaginez une botte piétinant un visage humain… éternellement». L’image est monstrueuse; elle fait frissonner d’horreur. Mais dans quelle mesure pouvons-nous l’éviter? La terre nous communique un spectacle dont plusieurs scènes évoquent l’action pernicieuse du mal. En Afrique, le drame de la faim est entretenu par des combats politiques et des haines raciales. Au Moyen Orient, le terrorisme prend des visages de plus en plus horribles. En Amérique latine, la misère fait bon ménage sur le dos des petits et des faibles. Amnistie internationale possède des dossiers volumineux sur des actes de torture dans de nombreuses prisons du monde.
La révolte ne peut-elle pas atteindre un sommet quand nous voyons l’innocent devenir la victime? «Je comprends comment tressaillira l’univers, lorsque le ciel et la terre s’uniront dans le même cri d’allégresse, lorsque le bourreau, la mère et l’enfant s’embrasseront. Le malheur, c’est que je ne puis accepter cette harmonie supérieure : je prétends qu’elle ne vaut pas une larme d’enfant car ces larmes n’ont pas été rachetées. Je veux le pardon, le baiser universel, la suppression de la souffrance. Mais si la souffrance des enfants sert à parfaire la somme des douleurs nécessaires à l’acquisition de la vérité, j’affirme que la vérité ne vaut pas un tel prix. C’est par amour pour l’humanité que je ne veux pas de cette harmonie : l’entrée coûte trop cher pour nous, j’aime mieux rendre mon billet d’entrée.» (DOSTOÏEVSKI, Les frères Karamazov)
Devant le mal et la souffrance, les uns ferment les yeux et ignorent. Ils ne peuvent supporter et fuient dans l’oubli. D’autres se résignent et s’avouent vaincus : ils cèdent à l’absurde. Le vieux Job, harcelé par son mal, proteste de toutes les forces qui lui restent. «Vraiment, la vie de l’homme est une corvée… Mes jours sont plus rapides que la navette du tisserand, ils s’achèvent quand il n’y a plus de fil. Souviens-toi, Seigneur : ma vie n’est qu’un souffle, mes yeux ne verront plus le bonheur.» (Job 7, 6-7) Oui, Job proteste contre l’injustice qui lui est faite. Dans son dépouillement, Job crie qu’il n’existe pas de solution au problème du mal, que nous restons démunis devant ce monstre et qu’il faut absolument que Dieu intervienne. Dans sa protestation, Job fait une profession de foi. Il appelle Dieu à la rescousse.
Un cri semblable retentira sur la colline du Golgotha, quand un autre homme reprendra la protestation de toute l’humanité souffrante : «Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?» (Marc 15, 33) C’est en notre nom que Jésus élève la voix : il a poussé la solidarité avec nous jusqu’à la mort.
Mais, en même temps, à travers lui, nous reconnaissons Dieu. «Vraiment, cet homme était le fils de Dieu» (Marc 15, 39). En Jésus, Dieu sort du silence. Il se tient à nos côtés. Et il proteste lui aussi contre le gâchis du monde. Par la résurrection, il gifle le mal. Et toutes ces guérisons qui jalonnent l’itinéraire de la prédication de Jésus n’annoncent rien d’autre que cette bonne nouvelle de la part de Dieu : le mal ne peut avoir le dernier mot, la vie sera plus forte que la mort.