Dans la présentation de ce livre, Jean-Luc Vesco, dominicain, écrit: « En consacrant un livre au silence de Dieu, le père Coulange, professeur d’exégèse au Studium de l’Institut Notre-Dame-de-Vie (Vénasque), n’a pas choisi la voie de la facilité. Qu’y a-t-il en effet de plus paradoxal qu’un Dieu de la Révélation qui devient silencieux?
Le silence de Dieu, dont la Bible nous parle et que chacun d’entre nous expérimente un jour ou l’autre, a de quoi nous effrayer… Un Dieu qui ne dit mot lorsque le monde souffre peut-il être un vrai Dieu ? Et s’il n’existait pas ?» L’auteur, Pierre de Coulange, invite son lecteur à un parcours biblique vers le Dieu caché. Nul ne peut remettre en question le fait que ce Dieu « tout autre » puisse sembler caché à notre intelligence. Avec le prophète Éli dans le silence du soir (1 R. 19,12), Dieu demeure au-delà du saisissable. L’Apocalypse parlera d’un silence céleste d’une demi-heure (Ap.8.1), mais ce n’est là qu’une appréciation symbolique. Les silences de Dieu expérimentés par les prophètes furent des plus douloureux.
Le Livre de Job, l’auteur des Lamentations, le prophète Ézéchiel et l’amoureuse du Cantique des Cantiques sont les témoins appelés à la barre pour accuser ce silence. Jean de la Croix et Thérèse de Lisieux abonderont en ce sens. Mais nul ne saurait dépasser en intensité le cri de Jésus sur la croix: « Père, Père, pourquoi m’as-tu abandonné ?» Et le père Vesco de conclure de façon paradoxale: « Si douloureuse soit-elle, l’épreuve de la nuit, le silence, peut être interprétée comme un geste de miséricorde accordé pour purifier le cœur de chacun et conduire à la perfection. » Pierre de Coulange débute son analyse : « Cette question du silence de Dieu n’est certes pas neuve, mais elle apparaît comme particulièrement lancinante dans le monde contemporain. » Le sujet fut source inépuisable d’inspiration pour penseurs, essayistes et romanciers Question toutefois difficile à aborder, parler de Dieu en tant qu’il se tait représente un exercice des plus périlleux.
Le songe de Jacob à Béthel apporte un donné inoubliable: « En vérité, le Seigneur est en ce lieu et je ne le savais pas ! » (Gn.28.16) On ne saurait entamer une recherche sur un sujet aussi délicat sans préciser avant tout le sens des termes. L’absence de Dieu pour une part peut être pensée comme négation systématique: Dieu n’est pas, disent les athées. Le silence de Dieu d’autre part renvoie à l’expérience du priant qui n’obtient pas de réponse. (Ps. 55) Il importe de bien distinguer ce silence de Dieu, expérimenté dans la prière, de l’absence de Dieu vécue dans l’abandon. « Paradoxal ce silence d’un Dieu-Verbe », réfléchit Bernard Sesboué. La question ne consiste pas en un mystère à élucider, elle fait tout simplement scandale: Dieu qui n’est pas là, ne répond pas et n’empêche pas le mal. « On voudrait tant, écrit B. Vergely («Le silence de Dieu face aux malheurs du monde») d’un Dieu politiquement correct, démocratiquement acceptable et humainement irréprochable ». Albert Camus dans son roman « Le Peste », traite de cette confrontation entre l’athéisme et la foi. Jean Paul Sartre préfère identifier Dieu au silence pour mieux nier son existence. Et le philosophe Comte-Sponville prône l’existence du mal contre la possibilité d’existence d’un Tout-Puissant. Cette question de la toute-puissance divine en rapport au mal constitue un élément majeur de la problématique contemporaine. Le silence de Dieu met en question soit la bonté divine, soit la toute-puissance, preuve de son impuissance. Si Dieu fondamentalement bon n’intervient pas c’est qu’il ne le peut pas. Dieu serait bon mais faible et en un sens irresponsable.
Dieu ne répond pas. Comment résoudre ce dilemme ?
« Ne convient-il pas de voir dans le silence de Dieu une option délibérée, un choix miséricordieux qui rend possible le devenir de la personne humaine » réfléchit Pierre Coulange. Le silence du Père face au fils unique en croix constitue le point focal de toute l’Écriture et de toute question sur le silence. Ce dernier n’est pas synonyme d’absence, encore moins d’inexistence. Le silence divin appelle le silence de l’homme et l’évocation de ce qui fut historiquement expérimenté dans les temps anciens. La Bible nous offre un témoignage sur les paroles tout autant que sur les silences. Cependant, la question du pourquoi demeure. Dans son ouvrage, Pierre Coulange aborde par étapes la question du silence et de l’absence Dieu. Un texte du prophète Isaïe démontre en exorde comment Dieu se présente essentiellement comme un Dieu caché : « Vraiment tu es un Dieu qui se cache, Dieu d’Israël sauveur. » (Is.45,15).
Au deuxième chapitre consacré au thème de la transcendance divine, nous réaliserons à quel point la littérature sapientielle, le « Livre des Proverbes » notamment, reconnait Dieu comme fondamentalement caché. Cette littérature ne souligne pas tant la révélation divine que la recherche de l’homme sur la présence de Dieu, présence cachée et silencieuse sous le voile d’événements ordinaires. Selon cette vision sapientielle du monde, le Dieu caché de la création est présent dans les coins les plus secrets de la vie sociale des hommes et tient les humains comme responsables de leurs actes. Le silence de Dieu est particulièrement inexplicable voire même douloureux lorsque il prend place dans un contexte de crise ou de malheur comme dans le « Livre de Job », le Livre des Lamentations » et certains psaumes. À ses amis, Job demandera de se taire: « Qui donc vous apprendra le silence, la seule sagesse qui vous convienne ?» (Jb.13.5). Le « Livre des Lamentations » expriment en quelques chants la brûlure insupportable de corps meurtris, de cœurs désespérés, d’âmes déchirées, de vies affamées et de foi déboussolée.
Ce « Livre des Lamentations » est « une maison du chagrin parce que la voix de Dieu est absente ». Il excelle dans l’art d’évoquer la figure d’un Dieu caché et silencieux. Livre d’une prenante actualité car il laisse apparaître l’abime entre la connaissance du Dieu-Amour et son silence devant l’horreur et la douleur des hommes. Le chapitre suivant traitera de l’amour divin et du silence dans le « Cantique des Cantiques ». Le psaume 63 quant à lui traduit bien le souffle qui sous-tend ce texte poétique prégnant d’amour: « Dieu c’est toi mon Dieu, je te cherche. Mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre sèche, altérée, sans eau. » François Varillon écrit quelque part : Dieu n’est jamais autant Dieu que lorsqu’il me manque.» Thérèse de Lisieux et Thérèse de Calcutta ont vécu de longues années cette absence et recherche dans la foi. Ce que Soren Kierkegaard traduisait : « La proximité absolue est dans la distance infinie ».
Pour trouver un sens au silence de Dieu, Pierre de Coulange aborde ensuite une page d’histoire, le thème de l’exil (598-537) comme expérience de l’éloignement de Dieu. Pour un peuple qui a perçu ses origines dans un choix et une alliance conçue avec le Seigneur, l’exil, l’abandon, l’absence de Dieu devient d’une éloquence incontournable. La théologie du Dieu cachée va répondre à cette dure épreuve, alors que l’on croyait éternelle l’habitation de Dieu dans le Temple, au milieu de son peuple: « C’est pour sa faute envers moi que la nation d’Israël a été exilée, parce qu’elle m’a été infidèle que je lui ai caché ma face. » (Ez. 39.23). Présence et absence de Dieu occupent une place centrale dans le livre du prophète. Mais l’exil va constituer une étape importante dans la pédagogie divine et la connaissance à laquelle va accéder Israël. Le cœur du livre, c’est la question de la présence de Dieu auprès de son peuple malgré le fait qu’il soit invisible. (Ez. 40-41) Au chapitre suivant, trois lieux de réflexion. Le silence de la création (Ps.19.2-5) constitue comme une réflexion sur l’univers.
Le livre de Ruth évoque quant à lui une forme de présence cachée. Enfin le « Songe de Jacob » (Gn.28.12-13) prélude à la rencontre avec les disciples sur la route d’Emmaüs, phénomène de présence-absence: les disciples désespérés prennent conscience de la présence qui s’évanouit aussitôt comme pour Jacob: « Le Seigneur était là et je ne le savais pas ». Pour terminer, Pierre Coulange aborde la difficile et scandaleuse question du silence de Jésus et de son Père dans la Passion. Les silences de Jésus auprès de la femme adultère (Mt. 7. 1-2), à la mort de son ami Lazare (Jn.11.21) et devant les supplications de la Syro-Phénicéenne (Mc 7.25) étonnaient déjà. A la croix, le scandale: « Père, Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? (Mt. 27.46) développé dans le psaume 22. Comment se fait-il que Jésus soit mort dans un tel silence? L’épreuve par le Fils du silence du Père a été le lieu où se révèle l’union parfaite de l’un et de l’autre. Jésus assume en même temps qu’il la dépasse l’expérience de tous les blessés de la vie et des pécheurs.
Un Dieu qui ne répond pas peut paraître folie, absurdité, scandale, et pourtant, c’est le quotidien de l’homme biblique, nous apprend Pierre Coulange. Le silence serait-il une qualité de Dieu? « Le Verbe se tait, selon les mots de Benoît XVI, il devient silence de mort. » (Verbum Domini & 12) Pour l’humain que nous sommes, le silence serait-il inhérent à l’expérience de Dieu ? Obscurité, sécheresse : chemins de foi, découverte du Tout-Autre ? Après la Révélation, conclue Pierre de Coulange, on ne peut comprendre Dieu sans accueillir son identité fondamentalement cachée.
Hier soir, j’ai écouté « la foi prise au mot » et c’était bien ce Père qui nous parlait du silence de Dieu ainsi que M. Xavier Grenet qui, lui aussi a écrit sur le même sujet.. Je m’apprête à en savoir davantage sur ces deux auteurs, Quelle heure intense !