Nouvelle forme de dévotion, pratique religieuse à domicile ? Peut-on identifier aujourd’hui une spiritualité propre au monde virtuel ? Quelles sont et où trouver ces pratiques religieuses offertes sur Internet, mises à jour sur la toile ? Voilà quelque peu le contenu du livre d’Isabelle Jonveaux : « Dieu en ligne ».
Sociologue des religions, diplômée de l’École de hautes études en sciences sociales de Paris et chercheuse à l’université de Graz (Autriche), Isabelle Jonveaux propose avant tout dans son récent livre « Dieu en ligne » une virée que l’on pourrait intituler « touristique » des grands sites web monastiques et religieux ainsi qu’une collecte d’informations concernant les services religieux offerts sur Internet. Retraites, célébrations liturgiques et réflexions favorisent de plus en plus et non sans poser moult questions, une pratique religieuse à domicile.
En son premier chapitre, l’auteure de « Dieu en ligne » fait état de l’implantation rapide de l’informatique dans les cloîtres et monastères et des sites qu’ils ont lancés. L’Internet est rapidement devenu en ces lieux inédits, « pays de mission», moyen d’évangélisation, lieux de communication personnelle anonyme. Tel est le menu du chapitre deuxième, suivi d’une analyse sans contour des avantages et désavantages de ces lieux de recueillement et de prière. Subséquemment à la question de la légitimité et de l’opportunité religieuse de ces sites monastiques, l’auteure se demande si ces références monastiques sont et peuvent être « une nouvelle religiosité en ligne » ? Isabelle Jonveaux pose ici questions de grande actualité. Ces multiples propositions informatiques pour vivre sa religion à domicile peuvent-elles donner une nouvelle impulsion à la foi ? L’Internet pourra-t-il jouer un rôle de démarrage pour une réelle pratique religieuse ? Quelle peut être la valeur de ces divers lieux numériques de ressourcement spirituel ? Dans l’enquête menée en 2006 par « Retraite en ville », site religieux des dominicains de Lille, en France, 57% des participants répondaient avoir « pris du temps de prière en suivant le texte sur l’écran ». Certains aménagent même une sorte d’autel avec bougies pour créer ambiance et espace religieux autour de l’ordinateur. Ce dernier s’apparente alors à une présence religieuse au même titre qu’une icône.
« Retraite en ville » a toutefois posé aux Dominicains de Lille moult questions sur sa légitimité. Isabelle Jonveaux remarque de façon assez pertinente : « Il s’avère dans cette nouveauté informatique que la pratique virtuelle associe souvent facilité et désengagement. Le dépassement des contraintes spatio-temporelles et l’anonymat, sans conséquence dans la réalité, peuvent en effet conduire à des pratiques désengagées. Est-ce justement dû au fait que la communauté virtuelle ne peut se constituer en véritable communauté ? Pourrait-on alors dire que la pratique religieuse en ligne est une pratique de zapping ?»
Anonymat et désengagement, tels sont les critiques faites à la pratique religieuse informatique. Alors que l’accompagnement est théoriquement parlant une rencontre entre deux personnes, la médiation numérique rend possible un degré d’anonymat jusqu’ici rarement éprouvé dans le contexte religieux. Le frère Xavier Loppinet, o.p., accompagnateur de retraitants en ligne, s’est demandé si « un accompagnement spirituel « vrai » pouvait être réalisé sur internet »? Les personnes interrogées déplorent de fait « une forme d’isolement au moins psychologique ». Le frère Pascal David précise pour sa part que « l’accompagnateur répond davantage à des questions qu’à une personne qu’il ne peut visualiser faute de plus ample incarnation ».
Dans l’optique de toute pratique religieuse par internet, l’anonymat, source de liberté pour les croyants, retient particulièrement l’attention. Quelle valeur peut avoir l’anonymat dans le cadre d’une religion où relation et engagement sont au premier plan ? « J’ai fait l’expérience que l’anonymat de ce media est visiblement une grande chance, avoue une bénédictine, car pour beaucoup cela parait plus facile d’écrire les expériences de l’âme que de les exprimer au cours d’un entretien. » Et de préciser le père Loppinet, o.p. : « L’incognito de l’accompagnateur et de l’accompagné fait une large place à l’imaginaire. L’anonymat de l’accompagné peut faciliter certaine confidences de sa part, mais rend cependant plus délicate la perception pour l’accompagnant » et toute proposition d’engagement. L’anonymat, tout au moins la dissimulation de l’identité par un pseudonyme ou de toute autre façon, ne permet pas semblable engagement. Il s’avère tellement plus simple de le rompre lorsqu’on ne sait rien de l’accompagnateur et que lui-même n’en sait pas plus de l’intervenant,
Autre point critique, la communauté et son désengagement. Si la méditation quotidienne et la prière par la grâce de l’Internet peuvent être réelles, le lien à la communauté demeure virtuel. Sommes-nous religieusement destinés à vivre dans le virtuel, c’est-à-dire pratiquer comme on veut, quand on veut, avec qui l’on veut et où l’on veut, tout ce que permet l’Internet ? L’Église ne reconnait de sacrements qu’effectués par l’intermédiaire du corps ou des sens.
En conclusion du livre « Dieu en ligne », la pratique virtuelle interpelle donc quant à sa capacité à être l’équivalent de la pratique dans la réalité ? Internet ne serait-il alors qu’un substitut à la pratique sans pour autant remplacer véritablement ce qui parait indissociable de la réalité ?
« Retraite en ville » des Dominicains de Lille, lieu de conférences en ligne, d’offices conventuels, de forums de discussions et d’accompagnement spirituel interpelle vraiment. Pourtant, le nombre des inscrits ne cesse d’augmenter. La formule doit répondre à un besoin et découler d’une situation. L’avènement informatique religieux met en relief de nombreux aspects de la modernité religieuse : recul des pratiques religieuses, religion à la carte, discours religieux discutable dans une société sécularisée.
Quoi qu’il en soit, l’objectif de « Retraite en ville » consiste visiblement à amener la religion aux individus qui ne vont pas ou presque plus vers elle. Face à la déchristianisation, défi majeur de l’Église, le site dominicain tente de proposer un message plausible, susceptible d’être reçu et accepté dans le cadre de la modernité religieuse. Telle présence virtuelle ne présuppose pas de culture religieuse approfondie, mais nécessite simplement une adaptation au langage du siècle et une sécularisation du langage religieux, ce que Danièle Hervieu-Léger appelle « l’exculturation du catholicisme », retrait de la culture catholique habituelle. De l’Internet, acteur essentiel de la modernité même religieuse, on attend de son langage une inscription dans l’actualité de la société et une clé de lecture de la société plutôt que l’annonce d’un salut. L’objectif de « Retraite dans la ville » est, au dire du frère Pascal, « créer (aujourd’hui) un espace (public) pour la parole de Dieu sur Internet ».
Devenue de plus en plus populaire, l’expérience religieuse informatique pose donc nombre de questions sur sa légitimité et ses caractéristiques. Pourtant, « Retraite dans la ville » ne voulait s’adresser qu’aux personnes incapables de suivre un exercice spirituel traditionnel, le manque de temps étant souvent un obstacle déterminant. Sans être une raison suffisante, ce motif évoqué permettrait aux individus de se déculpabiliser. Il n’est pas rare que ces pratiquants du virtuel demeurent quelque peu religieux, mais leurs occupations et le monde ne leur permettent plus d’avoir une profonde vie religieuse. Niklass Luhmann écrivait : « la religion n’a plus de religion à offrir ».
Quel peut être aujourd’hui la valeur prophétique et la légitimité ecclésiale de ces sites religieux? Telle est en somme la problématique posée par Isabelle Jonveaux dans « Dieu en ligne ».
Jacques Sylvestre o.p.
Isabelle Jonveaux. Dieu en ligne. Expériences et pratiques religieuses sur Internet. Bayard, 2013.
Ré : www.retraiteenville.com