Frère Henri-Dominique Lacordaire (1802-1861)
Avocat, journaliste, homme politique, prêtre et dominicain, Lacordaire fut en France le prédicateur le plus célèbre du XIXe siècle et le restaurateur de l’Ordre des Prêcheurs après la Révolution. De 1835 à 1851, il fut invité à dix reprises à prêcher les Conférences de Carême à Notre Dame de Paris.
Quand Dieu fit le cœur de l’homme, il y mît premièrement la bonté. C’est à dire cette vertu qui ne consulte pas l’intérêt, qui n’attend pas l’ordre du devoir, qui n’a pas besoin d’être sollicitée par l’attrait du beau, mais qui se penche d’autant plus vers un objet qu’il est plus pauvres plus misérable, plus abandonné, plus digne de mépris! Ce n’est ni le génie, ni la gloire, ni l’amour qui mesurent l’élévation de son âme, c’est la bonté. C’est elle qui donne à la physionomie humaine son premier et plus invincible charme ; c’est elle qui nous rapproche les uns des autres ; c’est elle qui met en communication les biens et les maux et qui est partout du ciel à la terre, la grande médiatrice des êtres.
Je crois que cette vie est un chemin, que cette lumière est une ombre, que ce monde est un prélude ; je crois que la vie c’est Dieu, que la lumière c’est Dieu, que le monde c’est Dieu. Et je crois de toute mon âme, au prix de mon sang s’il le faut, je crois que Dieu nous a créés pour vivre de Lui, pour nous éclairer de lui, pour trouver en lui la substance dont tout ce que nous voyons n’est qu’une image incapable et douloureuse. C’est ma foi, c’est celle que je vous annonce, et pour la combattre, il faut la prendre telle qu’elle est, et non pas telle que vous la faites dans les injustices et les découragements de votre esprit.
Dieu n’a pas créé des individus isolés, ni même des mondes, il a créé un monde unique où tous les êtres s’enchaînent par des rapports de dépendance et de services mutuels, et dont un seul ne peut être retranché sans que tous les autres ne souffrent de ce retranchement.
Vous pouvez vous plaindre de la vie, et ne pas estimer qu’elle soit un si grand don. Mais sachez-le, la vie dont vous vous plaignez, ce n’est pas celle que Dieu vous a faite, c’est la vie que vous vous faites à vous mêmes. Vous en avez retranché Dieu, et vous vous étonnez qu’elle ne soit plus rien. Vous avez produit le vide dans votre âme, et vous vous étonnez que l’infini vous manque. Vous avez couru après toutes les misères et vous vous étonnez de n’être plus que doutes, ténèbres, amertume, affliction. Ah! Revenez, revenez à la vie, reprenez vos droits dans la création par le courage de la foi, par la sainteté de l’espérance, par la divinité de l’amour, et alors, reportés à votre place et à votre gloire dans les harmonies universelles, vous redirez avec tous les mondes le témoignage que Dieu s’est rendu à lui même après qu’il eut achevé son œuvre : Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et tout était bon. Gn 1,51
Source : Henri Lacordaire. De la création du monde par Dieu – 47e conférence de carême à Notre Dame de Paris – 1848.