Prends pitié du pécheur que je suis !
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 18,9-14.
Jésus dit une parabole pour certains hommes qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient tous les autres :
« Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain.
Le pharisien se tenait là et priait en lui-même : ‘Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes : voleurs, injustes, adultères, ou encore comme ce publicain.
Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne. ‘
Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : ‘Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis ! ‘
Quand ce dernier rentra chez lui, c’est lui, je vous le déclare, qui était devenu juste, et non pas l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »
COMMENTAIRE
Les Pharisiens étaient connus pour leur attachement à l’observation et à l’étude de la Loi de Moïse, non seulement la Loi écrite (les cinq premiers livres de la Bible) mais aussi une importante tradition orale, considérée comme venant aussi de Moïse. Proches du peuple, ils étaient différents des Sadducéens qui constituaient l’aristocratie du Temple de Jérusalem. Les Pharisiens ont créé des synagogues partout où il existait des communautés juives afin que tous puissent prier et étudier la Loi de Moïse pour la pratiquer. À côté de chaque synagogue, il y avait une école. Quand le Temple fut détruit en 70 après Jésus Christ, tous les courants du judaïsme disparurent à l’exception des Pharisiens dont le judaïsme aujourd’hui est issu.
Dans les évangiles, Jésus est sans cesse en discussion avec les Pharisiens. Il est probable qu’il était assez proche d’eux, ce qui explique qu’il soit si souvent en débat avec eux sur les sujets très débattus de son temps (la venue du Messie, la résurrection des morts, l’impôt à l’autorité romaine, le plus grand de tous les commandements…). Pourquoi donc Jésus est-il présenté si souvent en opposition à eux ? Pour comprendre, il faut se souvenir que les auteurs du Nouveau Testament écrivent à la fin du premier siècle, 40 ans environ après la mort de Jésus ! Or, c’est à cette époque que le judaïsme pharisien a décidé d’exclure des synagogues les juifs devenus chrétiens. Beaucoup de débats de nos évangiles reflètent cette période douloureuse : les chrétiens de la fin du 1er siècle se reconnaissent dans Jésus qui prend leur défense face au judaïsme pharisien. Pour les auteurs des évangiles, en excluant les chrétiens d’origine juive de leurs synagogues, les Pharisiens ont exclu Jésus ! Les évangiles sont très marqués par cette situation d’exclusion de la toute première Église. En son temps, Jésus a débattu avec les Pharisiens comme un rabbin le fait avec un autre rabbin. Au temps de l’exclusion des chrétiens par les juifs, les Pharisiens sont devenus des adversaires de Jésus qu’ils veulent piéger.
Revenons au passage de l’évangile. Jésus parle de toute évidence à des Pharisiens qui considèrent qu’ils sont des « justes » parce qu’ils pratiquent très scrupuleusement la Loi. Jésus ne critique pas leur pratique de la Loi mais leur prétention de se croire les meilleurs. Il critique le fait qu’ils s’admirent et se font bien voir sur les places publiques et dans les synagogues. Ils sont trop sûrs d’eux. Jésus critique cette prétention dangereuse de se croire supérieur aux autres. La parabole vient tout renverser. Aux yeux de Dieu, ce n’est pas celui qui fait tout très bien qui est le meilleur, mais celui qui s’incline humblement devant Dieu, qui se sait petit et pécheur et qui demande à Dieu de l’accueillir malgré tout. Ce que Dieu regarde, c’est l’intention avec laquelle tout est fait, ce qu’il y a dans le cœur de l’homme. Souvenons-nous de l’admiration de Jésus pour la pauvre veuve !
La religion de Jésus est une religion de l’intériorité. Ce n’est pas quand l’homme fait des choses extraordinaires que Dieu l’aime, mais quand il se tourne humblement vers lui, comme un mendiant qui tend la main avec espérance. Ce qui compte aux yeux de Dieu, c’est l’amour avec lequel on fait jusqu’aux choses les plus insignifiantes. Comme le répète saint Paul, sans la charité, tout ce que je peux faire n’est rien… (1Co 13). Le « chapelet » des moines orientaux consiste à répéter sans cesse : « Jésus, Fils de Dieu, Sauveur, prends pitié de moi, pécheur ! » C’est ce que nos frères orthodoxes appellent « la prière de Jésus ». Il s’agit tout simplement de la prière du publicain de la parabole. Que ce soit aussi notre prière en nous souvenant que le Seigneur « élève les humbles » comme le chante Marie, l’humble servante, dans son Magnificat. Demandons-lui de nous apprendre cette humilité du cœur que Dieu aime. Alors nous pourrons comprendre la conclusion que donne Jésus à la fin de la parabole : « Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »
Fr. Dominique CHARLES, o.p.