Pacific Rim, de Guillermo Del Toro
Dans un livre d’entretiens récents, Mag Bodard, la productrice française, dans les années 60, de Bresson, Resnais, Varda, Demy, Godard, Deville, prophétise : « On fera les films pour les enfants au cinéma, et les films de qualité pour les adultes seront faits pour la télévision. Avec tous ces effets spéciaux, le cinéma ne s’adresse plus qu’aux enfants ! » D’une phrase à l’autre, Mag Bodard passe du futur au présent : et effectivement, on y est déjà.
En cette après-midi caniculaire d’août, ses propos résonnent dans ma caboche mise à mal par 2h15 de spectacle débilitant. J’ai été voir Pacific Rim de Guillermo Del Toro parce que j’avais beaucoup aimé un de ses films précédents, Le Labyrinthe de Pan ; et accessoirement parce qu’avec ce blockbuster de l’été, on ne pourra pas me reprocher de choisir des films inconnus !
Bien mal m’en a pris. Le film est projeté en 3D. On se demande pourquoi, à part pour faire payer plus cher la place et accentuer les migraines engendrées par des batailles tonitruantes, de nuit et sous la pluie, entre des monstres titanesques et des robots gigantesques. Les premiers sortent d’une faille océanique ; les seconds sont contrôlés en simultané par deux pilotes dont les esprits sont reliés par un « pont neurologique» ». Je vous laisse imaginer les conséquences de cette dernière donnée scénaristique : ce ne sera jamais aussi plat dramatiquement et inepte psychologiquement que ce qui nous est imposé. Sous la direction de Marshall Pentecost (Idris Elba), la tête brûlée Raleigh (Charlie Hunnam, mauvais), qui a perdu son frère au combat, va faire équipe avec la mystérieuse Mako (Rinko Kikuchi, insipide) pour piloter un robot et sauver l’humanité.
Il paraît que le film est un énorme succès en Chine. Ah bon. Il faut dire que c’est un hommage à un genre typiquement asiatique, le kaijū eiga (littéralement « cinéma des monstres »), né au Japon dans les années 50. A l’époque, les grands monstres de latex détruisant des maquettes de villes en carton exorcisaient les peurs post-Hiroshima.
J’avoue être totalement inculte en la matière, n’ayant même pas vu les versions plus récentes mettant en scène les kaijū les plus connus, comme Godzilla. Etranger à la culture geek, j’ai été simplement attiré par le talent de créateur d’univers du réalisateur mexicain, dont il ne reste plus grand-chose une fois passé dans la grande lessiveuse de la Warner Bros. Le studio, qui a investi 200 millions de dollars dans ce produit ultra standardisé, envisagerait une suite. En attendant, voir le comédien britannique Idris Elba faire ici ce qu’il peut alors qu’il campait un personnage inoubliable dans la cultissîme série TV The Wire (Sur écoute) ne fait que corroborer l’analyse de Mag Bodard.
Shokuzai, de Kiyoshi Kurosawa
Fantastique raffiné
Shokuzai est une série TV de cinq épisodes, commandée par une chaîne à péage japonaise au réalisateur de cinéma Kiyoshi Kurosawa. Après sa diffusion en 2012, la série a été montée en deux films pour être distribuée en salles. Je n’ai vu que le premier volet, Shokuzai – Celles qui voulaient se souvenir, constitué du prologue et des deux premiers épisodes de la série (2h30).
Emili, 10 ans, nouvellement arrivée dans une école, se lie d’amitié avec quatre camarades de classe : Sae, Maki, Akiko et Yuka. Un jour, alors qu’elles jouent ensemble, Emili accepte de suivre un inconnu. Ses copines l’attendent, puis la retrouvent dans le gymnase, violée et assassinée. Les fillettes, en état de choc, sont incapables de se souvenir du visage du meurtrier. Asako, la mère d’Emili, les convoque chez elle pour les menacer : si la mémoire ne leur revient pas, elles devront faire pénitence (shokuzai, en japonais) toute leur vie. Quinze ans après, quelles sont les séquelles pour chacune des filles de ce traumatisme doublé d’une malédiction ?
Le premier volet du diptyque s’attache successivement aux histoires de Sae et de Maki. L’épisode consacré à Sae (Yû Aoi) est le plus réussi. Devenue infirmière, Sae craint les hommes et n’a jamais eu ses règles. Pourtant elle se laisse séduire par l’inquiétant Takahiro, héritier d’une belle fortune. Une fois mariée, elle se soumet aux fantasmes morbides (et typiquement japonais) de son époux qui n’aime que les poupées.
Au fil de sa filmographie (Cure, Charisma, Kaïro, Rétribution), Kiyoshi Kurosawa s’est imposé comme un maître du fantastique raffiné et des histoires de fantômes ancrées dans la société japonaise contemporaine. Dans « l’épisode Sae », sa mise en scène stylisée crée tension et angoisse. Mais la tonalité burlesque de l’épisode consacrée à Maki est moins heureuse. Plus généralement, le spectateur occidental, peu concerné par les questions d’honneur familial, de honte et de sacrifice, aura du mal à adhérer à la « pénitence » et au personnage d’Asako (Kyôko Koizumi), sorte de harpie sur qui le temps n’a pas de prise. Quant à l’énigme criminelle, elle demeure en arrière-plan, sert parfois de fausse piste et reste évidemment irrésolue à l’issue de ce premier volet.
Quoi qu’il en soit, Shokuzai peut être une bonne introduction à une œuvre intéressante, axée sur la dimension spectrale du cinéma et d’une société japonaise perturbée, où le refoulé refait toujours surface.
Patrick Bittar, Paris
Réalisateur de films