« Aujourd’hui, écrit Joan Chittitster, lorsque, au Credo, l’assemblée ecclésiale se lève pour proclamer sa foi, je continue de dire « Je crois » avec les autres, mais je répète ces mots en ayant conscience de croire autrement que je les disais il y a quelques années. »
Le Credo est né du désir des premières générations chrétiennes de se dire à elles-mêmes l’essentiel de la foi qui les faisait vivre. Mais aujourd’hui, nombreux sont ceux et celles qui ont du mal à embrasser cette profession de foi élaborée dans un tout autre contexte culturel. Joan Chittister, moniale bénédictine et auteure écrivaine, est américaine. Elle connut la célébrité en faisant campagne en faveur de l’ordination des femmes, défiant ainsi la position établie par Jean-Paul II.
Collaboratrice au National Catholic Reporter, Joan Chittister reçut le prix Pax Christi en 1990 et le prix Thomas Merton en 2001. Conférencière recherchée, la religieuse est auteure de nombreux ouvrages de vulgarisation et plusieurs de ses œuvres furent traduites en français. Entre autres, « Vivre dans la lumière », publié aux Éditions Fides en 2001, « Au cœur du monde, regard spirituel sur le monde d’aujourd’hui », publié chez Fides en 2006 et les « Dix commandements. Les lois du cœur », édition Bayard 2000.
Les Éditions Bellarmin ont déjà traduit et publié « Le feu sous les cendres. Une spiritualité pour la vie religieuse contemporaine ». Joan Chittister conçoit la vie spirituelle sous un angle nouveau. Elle l’incarne dans ses divers engagements auprès des communautés de religieuses américaines et dans sa lutte pour la reconnaissance des droits des femmes dans l’Église et la société. Avec l’âge, sa vie religieuse est devenue une démarche plus intérieure, spirituelle et engageante à laquelle la simple conformité à des pratiques d’un autre âge ne l’avait préparée.
« Ce que je crois » fut publié aux éditions Fides en 2002. L’une des motivations qui ont inspiré l’ouvrage, écrit-elle, « Plus je vieillis, plus je suis fascinée de nous voir enseigner aux enfants ce que les adultes ne comprennent pas. » En 250 pages, l’auteure nous partage ses souvenirs personnels, ses propres questionnements, en somme son témoignage d’une foi actualisée dans le monde d’aujourd’hui. Pour cette année de la foi, il semble opportun de présenter l’ouvrage de Joan Chittister. Le livre ne pourra laisser personne dans l’indifférence.
Comme on dit: il pose les vraies questions de sens. Les Credo ne manquent pas. Outre celui de Nicée en 325, celui de Constantinople en 381 et celui de Paul VI (1968), c’est le plus ancien, inspiré de Matthieu 28.9, Romains 10,9 et 1 Cor. 15,3-5 communément appelé Symbole des Apôtres, qui retient ici l’attention de Joan Chittister. Article par article, elle en commente les dogmes en leur associant, soulignons-le une fois encore, une thématique contemporaine. Sur ce point, l’auteure écrit : « Suite à la bénédiction de l’eau le samedi saint lors de la Veillée pascale, le « Croyez-vous en Dieu », lancé par le président au cours de la liturgie pascale, demeure pour moi l’écho d’une époque où les Credo étaient plus un geste personnel que l’empreinte d’une institution. La question me parut donc plus personnelle que d’habitude ».
Que peut et que doit donc alors signifier aujourd’hui « Je crois »? Dieu le Père évoque-t-il encore la figure traditionnelle du patriarche paré d’une longue et grande barbe blanche? Et quel sens devons-nous donner au qualificatif Tout-Puissant, en un siècle qui a vu pulvériser deux villes avec la bombe atomique? « Dieu, écrit-elle, est assez tout-puissant pour me permettre d’être ce que je peux devenir sans avoir à dépendre d’un Dieu superman…
Vivre la vie en plénitude fait que le Tout-Puissant devient réel. » Tous les articles du Symbole des Apôtres sont objet d’une profonde réflexion, d’une intense prière et d’une sensibilité bien féminine, toute théologienne que soit Joan Chittister. Il s’agit là, soulignons-le, d’une certaine transfiguration, disons actualisation de nos croyances. L’auteure épure notre foi d’un certain nombre de mythes traditionnels. Son commentaire bien que marqué au coin d’une certaine indocilité est d’un radicalisme évangélique éblouissant. Ses critiques lancées au passage contre l’Église-Institution, demeurent d’une grande vigueur spirituelle.
À son endroit, ses remises en question rejoignent celles de bon nombre de catholiques : surdité de l’Église face aux réclamations du peuple des croyants, blocage psychologique sur la question de la pleine reconnaissance des droits des femmes dans l’Église, autoritarisme d’un autre âge allergique à toute contestation des décisions émanant de la Curie romaine, mépris de la diversité d’opinions chez les théologiens censurés comme au temps médiéval, recul tragique face aux espoirs légitimes de changements dans l’organisation ecclésiale suscités par Vatican II et que d’autres points encore.
La conscience chrétienne de Joan Chittister se veut contemporaine et préoccupée des droits humains, individuels et collectifs, des relations avec les autres religions, des enjeux éthiques soulevés par les progrès scientifiques, de la situation des exclus sociaux, des sociétés opprimées et du sort des femmes dans le monde. De plus, la Création y est perçue comme don et croissance de soi, le ciel, comme un état de vie, et la terre sous l’angle écologique, dont le sort, hélas! est analogue à celui de l’exploitation de la femme. Avec « Ce que je crois », Joan Chittister nous tend un Évangile à la dimension du monde actuel et à la hauteur du salut apporté par le Christ.
Tous les sujets-clés de la spiritualité authentiquement chrétienne y sont abordés sous des angles inhabituels. On ne peut le nier : on ne sort pas indemne de cette lecture. Il s’y exprime une indocilité bienfaisante et un radicalisme évangélique qui départage les croyants adultes des timorés, les tenants de la liberté spirituelle des partisans de la fatalité. Ce vibrant plaidoyer, Joan Chittister le fait au nom de tous ceux et celles encore « accrochés » à la robe de l’Église, bien que souvent malmenés par elle. Il n’est pas toujours facile de distinguer ce qui tient d’une part de l’idéalisme et d’autre part de la foi. L’auteure fournit quelques éclaircissements de nature historique sur la composition du Credo, mais son approche se veut avant tout pragmatique. « Le Credo, affirme-t-elle, n’est pas une liste de dogmes, mais un ensemble de choix, de propositions, un guide, une invitation à croire au fait de croire ».
L’Évangile invite tous les croyants à un changement véritable. Avec « Ce que je crois », nous sommes loin du manuel traditionnel de spiritualité; l’ouvrage décrit un acte de foi authentiquement incarné dans le monde de ce temps et sa relation avec Dieu. Vraiment, ce livre est à lire !
Chittister, Joan. Ce Que je crois. En quête d’un Dieu digne de foi de Joan Chittister. Bellarmin, 2002.