1 Alleluia !
Aleph. Heureux l’homme qui craint Yahvé,
Bèt. et se plaît fort à ses préceptes !
Gimel. 2 Sa lignée sera puissante sur la terre,
Dalèt. et bénie la race des hommes droits.
Hé. 3 Opulence et bien-être en sa maison;
Vav. sa justice demeure à jamais.
Zaïn. 4 Il se lève en la ténèbre, lumière des cœurs droits,
Hèt. pitié, tendresse et justice.
Tèt. 5 Bienheureux l’homme qui prend pitié et prête,
Yod. qui règle ses affaires avec droiture.
Kaph. 6 Non, jamais il ne chancelle,
Lamed. en mémoire éternelle sera le juste.
Mem. 7 Il ne craint pas d’annonces de malheur,
Nun. ferme est son cœur, confiant en Yahvé;
Samek. 8 son cœur est assuré, il ne craint pas :
Aïn. à la fin il toisera ses oppresseurs.
Phé. 9 Il fait largesse, il donne aux pauvres;
Çadé. sa justice demeure à jamais,
Qoph. sa vigueur rehausse son prestige.
Resh. 10 L’impie le voit et s’irrite,
Shin. Il grince des dents et dépérit.
Tav. Le désir des impies va se perdre.
© Les Éditions du Cerf, 1998
PRÉSENTATION
À la première lecture, nous voyons tout d’abord l’originalité de ce psaume : la transcription hébraïque des vingt-deux lettres de l’alphabet hébreu, successivement au début de chaque verset. C’est déjà le cas du psaume précédent (Ps 111), dont il est proche par la structure poétique en 10 versets, commençant par l’exhortation de louange initiale envers Dieu (Yah !) et par le style, mais encore par la doctrine de justice morale et de justice sociale, qu’accompagne l’instruction à propos de la crainte révérencieuse de Dieu, nommé Yahvé.
Le Psaume 112(111) forme avec le précédent 111(110) deux volets d’un diptyque qui présente d’une part YHWH lui-même, en tant qu’Il est Dieu de tendresse et de pitié, qui mérite louange, révérence et action de grâce, tant sont saintes ses œuvres : la création, la justice, la vérité en plus de sa générosité dans son alliance avec son peuple qu’il délivre.
Et d’autre part l’être humain, en tant qu’il s’applique à être clément et compatissant comme son Créateur et libérateur et à faire pour autrui les œuvres de justice : pitié et générosité.
Le Psaume 112(111) est un psaume didactique des croyants monothéistes israélites. La double appellation YHWH (Yahvé) y rappelle le nom divin qui est rattaché à la sortie d’Égypte des Hébreux (Ex 3; 6,2-8; 20,2). YHWH c’est le Seigneur, Celui qui est et fait être, le créateur de l’univers, par débordement de Son amour compatissant.
Remarquons encore que ce psaume ne contient aucun indice géographique ni historique précis, ce qui veut dire que la leçon du psalmiste est valable dans tout le pays (v. 2a), s’étend à l’universel. Puisque le but de ce psaume est d’apprécier le comportement de l’homme juste (v.4b et 6b) et charitable (v. 5a et 9a) pour lequel la loi de Dieu (Torah) est de grand prix (v. 1b) et qui met sa confiance en Dieu (v. 7b), cela signifie que le bonheur terrestre de l’homme croyant et droit est accessible, sans que la mauvaise nouvelle (v. 7a), ses adversaires (v. 8b) ou le méchant (v. 10a) puisse l’en empêcher. La bonté du juste est telle qu’il ne se laisse pas dominer par le mauvais qu’il voit. Il a fait son choix entre deux routes que l’homme peut suivre. Il a choisi celle de l’amour de Dieu et de la méditation de la Parole plutôt que celle qui mène à la ruine en bafouant cette Parole de vie. Le Psaume 1 (v. 5a.6b) annonçait déjà cette spiritualité des deux voies.
COMPOSITION ET STRUCTURE
Le Ps 112(111) se compose de l’impératif initial de louange à Dieu (v. 1a), suivi de deux parties bien complémentaires: les versets « Aleph-Yod » (1b-5) puis les versets « Kaph-Tav » (6-10). Ce sont deux parties consécutives reliées par le doublet du mot : (tsaddîq) « le juste » placé à la fin de la première partie (v. 4b) et au début de la seconde partie (v. 6b).
Chacune des deux parties a pour accent central l’affirmation : « sa justice demeure à jamais » (‘ōmedet lā‘ad) dans le sens de se maintenir avec stabilité et constance (v. 3b et 9b). De qui provient cette justice ? De l’être humain, car il y a l’inclusion portant la double mention de « l’homme » (’îš) aux v. 1b et 5a, qui met en scène de façon parallèle et positive le bonheur de l’homme qui craint le Seigneur et le bonheur de l’homme qui prend pitié et prête à autrui. Avec la répétition de la droiture ou rectitude morale aux v. 2b et 4a (y ešārîm) qui encadre la pointe.
La caractéristique de cette première partie est ce que vit « le juste » dans sa vie quotidienne : la crainte de Dieu et l’application de ses préceptes (v. 1), la fécondité et le bien-être (v. 2-3), la pitié et la tendresse avec justice (v. 4-5), la capacité de prêter et de gérer avec droiture ce qu’il a (v. 5): c’est-à-dire son présent, avec la justice morale d’observance de la loi de Dieu donnée par Moïse (v. 1c) et la justice sociale dans l’exercice de la pitié, la tendresse et le prêt (v. 4b-5b).
La seconde partie (v. 6-10) tient sa cohérence de l’antithèse assez remarquable entre « le juste » (tsaddîq) au v. 6b et « le méchant » (rāšā‘) au v. 10a.
Sa caractéristique est que « le juste » ne craint pas de distribuer des dons aux pauvres (v. 9a) et de tenir ferme face aux malheurs (7ab) et oppresseurs (8ab): il s’agit ici de son avenir dans la pratique de la justice sociale; mais à la place de la justice morale, en finale, le psalmiste avertit que « le désir des impies » va au néant (v. 10c). Le méchant n’a finalement aucun avenir. Tandis que le désir de Dieu et de son règne de justice et de miséricorde « demeurera à jamais » (v. 3b et 9b) ! C’est là la confiance en Dieu, qui est l’attitude de tout être religieux, donc aussi du « juste » qui partage et « fait largesse » aux appauvris (v. 9a). Le Psaume 112 fournit bien une perspective didactique qui est toujours d’actualité pour nous sur terre !
Il rejoint assez bien le Psaume 37(36) – également alphabétique – sur le sort du juste et du méchant dont la prospérité ne dure pas (v. 35-38), tandis que le juste trouve un bonheur ici-bas dans la sécurité (112,7), la durée de vie de sa justice (112,6) en plus de la fécondité familiale (112,2). Le v. 2a annonce le bonheur comme la conséquence du craignant Dieu qui aime Ses préceptes : une « lignée puissante » qui est la grande bénédiction divine dans l’Ancien Testament. Le v.4a « il se lève …lumière » est comme le rayonnement divin qui transpire du « juste » lequel « ne chancelle pas »(v. 6a), gardant « le cœur ferme et assuré » (v. 7b-8a). Pour celui qui est juste et en outre « a distribué aux pauvres » le v. 9 c redit la « vigueur » en prenant l’image de la « corne » qui est le symbole de la puissance ou de la renommée de celui qui est fécond et stable psychologiquement, tout à l’opposé de celui qui « s’irrite » (v. 10a) et « grince des dents » (v. 10b) jusqu’à disparaître. La grande place donnée par le psaume à la complaisance du juste invite à la préférer au « désir des impies ».
RELECTURE CHRÉTIENNE
Notre psaume montre que « le juste » uni à Dieu l’emporte sur l’impie ou le méchant.
Même s’il s’agit du niveau terrestre, il n’est pas difficile de penser à la passion de Jésus qui reste fidèle à sa mission de solidarité avec notre humanité blessée par le mal face aux jalousies ou obstination des chefs du peuple par rapport aux dons et guérisons qu’Il accomplit pour les affamés, les pécheurs et les malades. Et peut-être certains pourront déjà penser à la résurrection de Jésus qui l’emporte sur l’irritation de ceux qui ont voulu l’éliminer, le faire disparaître par la parodie de jugement et le meurtre. Il s’agit d’un triomphe visible de l’amour d’agapè, du juste charitable, sur la rage des oppresseurs vis-à-vis des enfants de Dieu.
Le Psaume 112(111) nous dit que pour celui qui craint le Seigneur, lui fait confiance et marche dans ses voies, ou qui donne aux pauvres, le bonheur advient. Oui, même affaiblis par les attaques, c’est en Jésus vivant ressuscité découvert dans les appauvris que nous trouvons la joie et la force de vivre. C’est le bonheur du message pascal pour tout homme !
S’il y a plusieurs psaumes faisant l’éloge du juste, le Nouveau Testament propose une collection de pistes de bonheur dans les « béatitudes » évangéliques et notamment pour le juste : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés » (Mt 5, 6). Tout l’enseignement de Jésus s’inscrit dans la lignée des prophètes (Is 51,1) qu’il approfondit et intériorise. Les épîtres vont dans le même sens que le Psaume 112(111) : « Conduisez-vous en enfants de lumière, car le fruit de la lumière consiste en toute bonté, justice et vérité. » (Ep 5,8b-9). Et les Actes des Apôtres offrent encore l’exemple d’une femme et d’un homme de cette envergure : « Tabitha, ce qui se traduit en grec Dorcas » qui « était riche des bonnes œuvres et aumônes qu’elle faisait. » (Ac 9,36) à Joppé. Et à Césarée « il y avait un homme du nom de Corneille, (…) pieux et craignant Dieu (…); il faisait de larges aumônes au peuple juif et priait sans cesse. » (Ac 10,1-2). À notre tour d’aller dans le sens de la justice !
DANS LA LITURGIE
Parce que ce Psaume convient parfaitement comme programme de vie à ceux et celles qui sont des êtres justes capables de tendresse et de pitié, la liturgie le propose six fois dans le lectionnaire : pour fêter la sainte mère de famille, Zedislave Berka (4 janvier); Yves le saint prêtre patron des juristes (19 mai); sainte Elisabeth de Portugal (4 juillet); le saint diacre Laurent, martyr (10 août); le saint prêtre Vincent de Paul (27 septembre) et le saint évêque Nicolas, patron des enfants (6 décembre) : ceci met donc en honneur une série de grands témoins de la charité chrétienne envers les petits et les appauvris.
Pour nous qui sommes tous également appelés à la sainteté, le Psaume 112(111) est proposé tant dans la prière des heures que dans les célébrations de la Parole au cours des Eucharisties. Et s’il n’est chanté qu’une seule fois lors de la messe du Dimanche, le 5e de l’année, par contre il l’est chaque mois, au 4e Dimanche, comme prière du soir. De plus il est prévu trois fois pour la messe en semaine les années paires (6e vendredi; 31e samedi et 32e samedi) et quatre fois les années impaires du temps ordinaire (9e lundi et mardi; 11e mercredi et 31e mardi).
Pour compléter, retenons que c’est un des Psaumes suggérés dans la liturgie du sacrement de mariage parce qu’il est convient justement aux époux qui veulent vivre heureux en s’attachant ensemble à faire la volonté de Dieu, en Lui faisant confiance dans un projet généreux et ouvert à la fécondité de leur couple. Ils ont en vue le bonheur de l’autre !