Des personnes épousent des causes et y engagent toutes leurs énergies. C’est le cas dans deux films récents, tous deux sélectionnés pour l’Oscar 2013 du meilleur film en langue étrangère. Dans l’émouvant AMOUR, le réalisateur Michael Haneke décrit avec minutie l’affection et le dévouement d’un homme âgé pour sa femme en fin de vie. D’autre part, Pablo Larrain, réalisateur du film NO, présente brillamment la détermination déployée par un jeune publicitaire dans l’équipe du Non, lors du référendum national de 1988 au Chili.
AMOUR
Après le magistral RUBAN BLANC, l’Autrichien Haneke a décroché à Cannes une deuxième Palme d’or d’affilée avec cette méditation poignante et lucide sur la force de l’amour face à la vieillesse, la dégénérescence et la mort.
Professeure de piano à la retraite, Anne se retrouve paralysée du côté droit à la suite d’une opération au cerveau qui a échoué. Son époux Georges, également octogénaire, décide de prendre lui-même soin d’elle, dans le confort de leur appartement parisien. Le vieil homme peut du reste compter sur le couple de concierges de l’immeuble, qui font les courses et le ménage pour eux.
L’état de santé d’Anne se détériorant, Georges se résout à faire appel à des infirmières à domicile. Leur fille unique, la musicienne Eva, plaide plutôt pour un placement dans un centre de soins de longue durée. Mais Georges n’a pas le choix. Il ne fait que respecter le vœu de son épouse de ne plus jamais retourner dans un hôpital.
Réputé pour son regard froid, impitoyable sur l’espèce humaine et ses travers les plus cruels (voir FUNNY GAMES, LE TEMPS DES LOUPS), Haneke se fait ici délicat, empathique, bien qu’il ne puisse s’empêcher d’illustrer sans faux fuyants les ravages causés par la déliquescence physique et psychologique. Il y a également du Bunuel – façon LE CHARME DISCRET DE LA BOURGEOISIE – dans son scénario épuré, tant lors de certains passages surréalistes que dans les dialogues très écrits, aux formules délicieusement châtiées.
La mise en scène au cordeau, alternant plans fixes savamment composés et mouvements de caméra souples mais précis et économes, sert admirablement les extraordinaires Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva, au sommet de leur art. Dans ses quelques scènes, Isabelle Huppert, de nouveau pianiste pour Haneke, est tout simplement bouleversante.
NO
En recourant à des caméras vidéo U-Matic de l’époque, le Chilien Pablo Larrain a créé avec NO un film historique, où les images tournées et les archives filmées s’assemblent sans couture apparente. Il résulte de ce parti pris pas banal un film râpeux et sans beauté plastique évidente, modulé par un scénario libre, à la fois dense et elliptique, sincère mais également cynique.
Chili, 1988. À la demande d’un vieil ami, et contre l’avis de son propre patron, René Saavedra, publicitaire de Santiago ayant vécu plusieurs années en exil, accepte de participer à la campagne du Non, dans le cadre du référendum historique déclenché par le général Augusto Pinochet afin de légitimer sa dictature aux yeux du reste du monde.
Premier obstacle: la coalition derrière le Non manque d’unité, et sa volonté de dénoncer le bilan meurtrier de la dictature n’est pas porteuse du renouveau que René, rompu aux méthodes publicitaires américaines, veut vendre au public. Les hommes de Pinochet sont du reste à pied d’œuvre pour mettre des bâtons dans les roues de leurs opposants, tout en resserrant l’étau sur le jeune publicitaire, son fils de six ans et son ex-épouse, militante connue des autorités. Alors que débutent les diffusions quotidiennes des publicités des deux camps, René, qui risque gros advenant la défaite, s’accroche à l’espoir.
La peur et la fièvre transpirent à la surface de cet excellent film, ainsi que dans le visage de son impeccable distribution dominée par un très sobre Gael Garcia Bernal (CARNETS DE VOYAGE). En effet, par son introduction et sa conclusion pratiquement identiques, le film s’emploie à démontrer que la victoire du Non a été obtenue grâce à une habile stratégie publicitaire, de celles qui servent aussi à vendre des boissons gazeuses et des feuilletons télévisés. Le film de Larrain affirme, à demi-mots, qu’en se délivrant de son dictateur, le peuple chilien s’est enchaîné au tyran de l’Occident: le libéralisme. Un triomphe nécessaire, mais amer.