Dans son livre sur l’eucharistie, Timothy Radcliffe raconte : «Il y avait aux États-Unis, dans le Sud profond, une ville très pieuse et religieuse où tout le monde allait à l’église et était vertueux. Et puis un jour, un homme arriva qui ouvrit un bar, lequel devint le centre de toutes sortes de conduites dépravées : danse, boisson et même, qui sait, peut-être sexe. Tous ces bons chrétiens firent des prières pour la fermeture du bar. Ils firent le siège du ciel, et de fait, six mois plus tard le bar brûla. Le propriétaire exigea des chrétiens une indemnisation. Ces derniers nièrent toute responsabilité : qu’avaient-ils fait? « Suis-je le seul ici, répliqua-t-il, à croire à la puissance de la prière? » (Pourquoi aller à l’église?, Paris, Champs essais, 2009, p. 137)
La puissance de la prière! On en doute souvent. Devant un problème, nous faisons le tour de toutes les solutions possibles. La prière est rarement en haut de la liste. Nous la promettons à une âme en peine quand nous ne savons plus quoi dire pour l’encourager. Certains terminent leur courriel ou leur lettre par ces mots passe-partout : «Union de prière.» Devant un objet précieux ou une demande couteuse, n’arrive-t-il pas que nous concluions : «On n’a pas ça pour des prières»! Autant de petits indices qui manifestent notre peu de confiance en la prière.
Pourquoi? Nous doutons de notre pouvoir sur Dieu. Nous ne croyons pas que nous pouvons le faire fléchir, le faire changer d’idée, le forcer à intervenir dans le déroulement du temps. Et nous avons probablement raison. Mieux que nous, Dieu sait ce qui est bien pour nous. Dans sa grande générosité, il met tout en œuvre pour nous rendre heureux. Nous pouvons donc compter sur lui sans hésitation. D’autant plus que, vivant dans l’éternité, il peut intervenir dans ce que nous, du côté du temps, nous appelons l’avenir!
Mais alors, à quoi bon prier? Dieu se laisse-t-il distraire par nos demandes quand il les connaît depuis toujours et qu’il sait, mieux que nous, ce qui est bon pour nous?
La question est probablement mal posée… La prière n’agit pas sur Dieu. Elle nous touche nous-mêmes. Elle ne change pas Dieu; elle nous change nous-mêmes. Elle nous ajuste à la justesse de Dieu. Saint Augustin dit quelque chose du genre : «Nous ne prions pas pour avertir Dieu de nos besoins, mais pour nous avertir nous-mêmes du regard que Dieu porte sur nous.» Quand nous supplions, la prière place nos besoins dans le grand champ de notre désir profond et surtout dans le champ du regard de Dieu. La prière nous fait entrer dans l’éternel paysage de Dieu. Elle nous convertit.
À la fin de notre prière, nous pouvons avoir l’impression d’avoir changé d’idée. Et pourtant, ce changement ne nous désespère pas. Nous n’avons pas l’impression d’avoir perdu. Au contraire, la prière jette une lumière nouvelle sur ce que nous vivons. La solution que nous adoptons se situe du côté du bonheur. Elle n’est pas du tout une démission. Quand je demande à Dieu : «Que ta volonté soit faite», je ne fais pas de ma prière une résignation. Au contraire. «Que ta volonté soit fête!», comme un enfant avait compris la prière du Seigneur, un jour où il devait écrire par cœur le Notre Père! Heureuse erreur!