« L’Enfance de Jésus », par le cardinal Ratzinger devenu Benoît XVI : livre court, écrit simplement. Il compte 176 pages et analyse avec clarté et humilité seulement 180 versets des Évangiles. Il mérite une lecture, voire même une relecture.
« L’Enfance de Jésus » boucle l’œuvre commencé il y a presque dix ans. Il ne s’agit pas d’un troisième volume, mais d’une « porte d’entrée » aux précédents ouvrages consacrés à la figure et au message de « Jésus de Nazareth ». Dans ce dernier ouvrage, Benoît XVI tente une interprétation en deux étapes des chapitres 1 et 2 des évangélistes Matthieu et Luc. Ce qui lui importe avant tout, c’est ce qu’ont voulu dire, à leur époque, les auteurs de ces textes; puis, ce qui est raconté en ces pages est-il vrai et cela nous regarde-t-il et de quelle façon? « La question du rapport du passé avec le présent, écrit le pape, fait immanquablement partie de l’interprétation elle-même ». Pourtant, dans le préambule du second volume de « Jésus de Nazareth », Benoît XVI avait expliqué que son œuvre ne s’attarderait pas sur les Évangiles de l’enfance. Mais le pape n’a pas voulu nous priver de cette « porte d’entrée » à la lecture des livres précédents.
Dans ce livre « L’Enfance de Jésus », Benoît XVI cherche à interpréter les textes. Pour ce faire, il a consulté les exégètes d’hier et d’aujourd’hui, allemands pour la plupart. Si Danielou et Laurentin, exégètes français, ont pu jouir d’une certaine influence, le grand exégète Raymond E. Brown, un des grands noms de l’exégèse biblique, semble avoir été ignoré. Benoît XVI écrit : « Je voudrais considérer comme l’unique vraie explication de ces récits ce que Joakim Gnilka se référant à Gerhard Delling exprime sous forme de question : le mystère de la naissance de Jésus devait-il être placé par la suite au début de l’Évangile, ou bien n’est-il pas plutôt démontré par là que le mystère était connu ? Seulement on ne voulait pas trop en parler ou en faire un événement dont on peut disposer ».
L’Évangile a été annoncé avant d’être écrit, et les premiers écrits avaient souci de présenter avant tout les faits et paroles de Jésus, en un mot, son ministère public. Les récits de l’enfance ont donc été ajoutés par la suite. L’important est de constater qu’ils n’ont pas été écrits pour satisfaire notre curiosité, mais pour répondre à des préoccupations de foi. « Ces pages des Évangiles sont pour des adultes dans la foi », commentait le cardinal Ravasi lors de la présentation du volume. Le but de évangélistes était de présenter non pas un compte rendu exhaustif, mais un état de ce qui, à la lumière de la parole, semblait important pour la communauté de foi naissante. Le défi était surtout de répondre à la question de savoir si Matthieu et Luc avaient écrit vraiment une histoire authentique, ou seulement une méditation théologique exprimée sous forme d’histoire. Daniélou arrivait à la conviction qu’il s’agissait d’événements historiques dont la signification avait été interprétée théologiquement par la communauté judéo-chrétienne et par Matthieu.
Le livre tente une mise en garde contre l’exégèse critique moderne. Celle-ci aurait tendance à considérer les faits de l’enfance de Jésus comme naïfs ou de pures inventions. Benoît XVI définit certains passages des évangiles de l’enfance comme des réalités, et d’autres comme symboliques. Selon Mgr Gerhard Muller, le pape a en somme réussi à mettre au point l’historicité des faits. Dans cet œuvre, l’auteur a voulu concilier le Jésus historique et le Jésus de la foi.
Les récits de l’enfance de Matthieu et de Luc ne sont donc pas des mythes développés ultérieurement. Selon leur conception de fond, ils sont solidement ancrés dans la tradition biblique. L’exégète allemand Joachim Gnilka écrit avec raison qu’il s’agit vraisemblablement de traditions de famille. Marie pourrait être une de ces sources étant donné qu’elle « gardait toutes ces choses dans son cœur ». Matthieu et Luc, chacun à sa façon, voulaient non pas tant raconter des histoires qu’écrire une histoire réelle qui a eu lieu, une histoire interprétée et comprise selon la parole de Dieu.
Quant à son contenu, il provient de tradition familiale, inspirés d’une tradition transmise, fidèle au passé. L’évangéliste, utilisant la tradition scripturaire, montre qu’ainsi s’accomplit ce qu’avait prédit l’Écriture. Cela fait partie de la structure fondamentale de son Évangile: fournir à tous les événements essentiels une preuve par l’Écriture. Matthieu aime présenter les événements dans la vie et l’œuvre de Jésus comme réalisations de Paroles vétérotestamentaires.
Des âmes pieuses pourraient être scandalisées lorsqu’elles découvrent qu’il n’est question dans ces récits ni du bœuf ni de l’âne gris, que les Mages ne sont ni trois, ni rois et que les bergers ne viennent pas pour adorer, alors que d’autre part, on fait place à l’étoile. C’est qu’il faut lire le texte tel qu’il est, sans y ajouter de notre imagination, sans l’aménager à l’aide de textes concurrents, tels les apocryphes. Il faut plutôt replacer chaque récit dans le cadre général de l’évangile où il est inséré.
Le déroulement du livre s’avère des plus simple. La question posée par Pilate concernant l’identité de Jésus, « D’où es-tu? » constitue l’objet du premier chapitre consacré à la généalogie, les origines et la place de Jésus dans l’aube d’une ère nouvelle. La deuxième porte sur l’annonce et la naissance de Jésus. Il met en relief Dieu dépendant de l’homme, sa liberté divine conditionnée au « oui » d’un homme ou d’une femme. Tel fut le début de l’histoire du salut.
Le troisième chapitre concerne le mystère de la Nativité. Il nous place dans le contexte historique qu’on appelle la « plénitude du temps ». Et le dernier chapitre est consacré aux Mages porteurs de l’inquiétude d’une humanité en attente, cette attente qui caractérise l’esprit humain. Le livre se clôt finalement avec l’épilogue et l’enfance de Jésus à Nazareth.
« Texte performatif », écrit Benoit XVI qui place en exergue une expression de plus interpellant: « le moment est venu d’écouter ces textes ». La continuité intérieure de l’histoire de Dieu avec les hommes se manifeste d’une manière extrêmement forte. Témoin d’une histoire toujours actuelle, tous les textes impliquent le lecteur. Le Royaume annoncé par Jésus n’intéresse pas seulement le bassin méditerranéen et une époque déterminée, il intéresse l’homme de tous les temps, dans la profondeur de son être. Par mode d’exemples : dans la foulée de Mages, quels sont les chrétiens qui se hâtent aujourd’hui. Le cri des mères dans le massacre des saints Innocents demeure un cri perpétuel.
Personnellement, retenant que Marie ne comprenait rien à ce qui se passait et gardait toutes ces choses en son cœur pour les méditer, nonobstant ce que Benoît XVI caractérise comme tradition familiale, celle-ci me semble très limitée. Mises à part quelques épisodes de ces récits de l’enfance, sont exclues certes les annonciations tant à Marie qu’à Joseph, et peut-être l’adoration des Mages, tous récits inspirés de passages prophétiques de l’Ancien Testament. (Gn. 16; Jug. 6 : 1; Sam. 16; Is. 49:23 et 60: 5; Ps. 72; Gn 16.7 et 21) « Mais eux ne comprirent pas… » (Lc. 2 :50).
La parole de Dieu est grande pour le moment. La foi de Marie fut une foi en chemin, une foi qui à maintes reprises baigne dans une obscurité totale et qui, de ce fait, doit mûrir. Les paroles de Dieu dépassent toujours niveau notre intelligence et compréhension. La tentation de les réduire à notre mesure est compréhensible. Mais, doit toujours accompagner l’exégèse l’humilité de respecter cette grandeur qui, avec ses exigences, nous dépasse. Gardons-nous de ne pas réduire les paroles de Dieu à ce dont nous pouvons nous croire capable de comprendre et d’expliquer l’inexplicable. Croire signifie se soumettre à cette grandeur et croître pas à pas vers celle-ci.
Le mystère est demeuré jusqu’à nos jours, nous en sommes témoins. Il est devenu objet de foi incompréhensible. Il demeure que, suite au contexte de l’évangile primitif comportant mort et résurrection, puis enseignement appuyé sur faits et gestes de Jésus missionnaire, les évangélistes mus par l’Esprit ont puisé dans la tradition vétéro-testamentaire les données susceptibles de traduire et d’exprimer leur foi concernant les mystères de l’enfance de Jésus. Ils ont tenté ainsi de « rendre compte de l’espérance qui était en eux ». (2 Pi. 3 :15)