Collectif sous la direction d’Alphonse Borras. Habiter notre temps en chrétiens. Collection «Trajectoires». Lumen Vitae, 2009.
« Il est venu vers les siens et les siens ne l’ont pas reçu » Jn.1.11.
Au temps du Christ, ces lieux de contestation s’appelaient Bethsaïde, Corozaïm, Capharnaüm, Nazareth, Jérusalem et autres; ces espaces de refus étaient aussi le Temple, la synagogue, tous, pourtant lieux et espaces d’assemblées et de convivialité.
En notre temps, au XXIe siècle, ils sont plus nombreux encore ces lieux et espaces de contestation où le Christ ne semble pas reçu. Ce sont, entre autres, nos paroisses. Leur avenir est aujourd’hui mis en question au profit des regroupements urbains. On y vient que pour dormir, alors qu’autrefois on s’y assemblait pour vivre, travailler et célébrer sa foi. Les paroisses, du plus humble hameau à la plus grande agglomération, étaient habitées. Aujourd’hui, on pourrait presque dire, il n’y a plus « âme qui vive ! » Et leur désertion au niveau de la foi peut être synonyme de contestation, d’autant plus que le silence en est l’expression.
habiter notre temps en chrétiensÀ l’occasion du 24e « Colloque Européen des Paroisses » (CEP), tenu à Porto, Portugal, des chrétiens venus de nombreux pays d’Europe se sont retrouvés pour réfléchir à la possibilité de vivre et de communiquer aujourd’hui l’expérience chrétienne en paroisses. Comment celles-ci peuvent-elles réussir à faire de l’Incarnation, « Le verbe s’est fait chair », la norme d’une manière propre d’habiter le monde, de faire paroisse, avec quelles ressources et dans quelles perspectives ? C’est à ces questions interpellant pour notre présent et notre avenir de chrétiens que ce livre « Habiter notre temps en chrétiens » cherche à répondre avec sincérité et courage.
Le CEP a vu le jour en 1961, comme association libre de paroisses. Son objectif était d’organiser tous les deux ans une semaine d’études sur la situation des paroisses européennes. Soutenus par le célèbre cardinal König, archevêque de Vienne, évêques, prêtres, diacres, laïcs et religieux y prenaient part. Ont contribué aujourd’hui à la sculpture de ce visage paroissial chrétien, sept prêtres et professeurs de France, d’Espagne, de Belgique, du Portugal et d’Italie.
Conscients de la distance de plus en plus grande entre l’expérience chrétienne et la culture contemporaine, les participants ont perçu le terme « habiter » comme tout indiqué pour évoquer ce que devrait être l’expérience chrétienne ecclésiale en paroisse. La paroisse: pouvait-on mieux évoquer les hauts et les bas de cette réalité, devenue presque une utopie. Maison habitée, aux multiples aspects, chaleur, intimité et relations fraternelles, maison ouverte, accueillante, ou maison habitée par la solitude, lieu d’accueil habité par des immigrants et marginaux de plus en plus nombreux.
Le terme « habiter » entend indiquer plus qu’une manière d’être, de vivre, de se trouver avec. Le mot connote surtout une résonnance biblique: l’Incarnation, le Verbe fait chair. « Il n’a pas retenu jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Il s’est fait homme » (Phil 2.6-7). Jésus a vraimentvoulu habiter Nazareth, « peut-il sortir quelque chose de bon de Nazareth ? » (Jn 1 :46). C’est là qu’il voulut vivre notre expérience humaine avec toutes les conséquences qui en découlent: pauvreté de vie et de moyens, voix qui crie dans le désert, engagement contesté face à l’établissement d’un Royaume de justice et de paix et surtout le respect des personnes.
Le concile Vatican II et La Constitution «Gaudium et spes» le rappelaient : « Le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné, car par son incarnation Dieu s’est uni d’une certaine manière à tout homme » (GS 22). La Constitution reconnaît que Jésus Christ habite d’une certaine façon chaque être humain. Cette connotation biblique inspire tout l’arrière-plan dans lequel s’est déroulé Vatican II : « Pour mener à bien cette tâche, l’Église a le devoir à tout moment de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future, et sur leur relations réciproques. Il importe donc de connaître et de comprendre ce monde dans lequel nous vivons, ses attentes et ses aspirations son caractère souvent dramatique ». (G.S. 4)
La façon dont l’Évangile peut et doit habiter chrétiennement la paroisse et ce monde implique avant tout une activité missionnaire, manifestation du dessein de Dieu et sa réalisation dans le monde et dans l’histoire. Mais un témoignage importe plus encore, proclamation silencieuse parfois, mais néanmoins efficace. Cependant, le développement de l’évangélisation n’aura vraiment lieu que dans l’annonce claire et sans équivoque de Jésus notre Seigneur, parole faite chair. Le plus éloquent témoignage s’avérera insuffisant s’il n’est inspiré par ce que Pierre appelait « rendre compte de l’espérance qui est en vous » (1 Pi. 3.15).
Pour habiter chrétiennement notre temps, il nous revient d’apprendre à parler en toute vérité de cette Église, fut-elle réduite aux limites paroissiales, non en termes d’extériorité comme si nous n’en étions pas, mais en termes d’implication et de participation. Habiter chrétiennement notre temps requiert donc de chacune des paroisses d’écouter, de discerner et de cheminer en Église. Ce faisant, elles donneront visibilité à l’Église locale, le diocèse et sa mission.
« La paroisse, présence de l’Église sur le territoire où vivent les hommes, « fontaine du village », comme aimait l’appeler Jean XXIII, à laquelle tous peuvent s’abreuver et trouver la fraîcheur de l’Évangile. Son rôle reste irremplaçable, même si les changements de conditions peuvent en exiger l’articulation en plus petites communautés, ou l’ouverture à des liens de collaboration dans un contexte plus ample. Nous sentons surtout le devoir d’exhorter nos paroisses à joindre à la charge pastorale traditionnelle du Peuple de Dieu les nouvelles formes de missions réclamées par la Nouvelle Évangélisation ». (Message final au Peuple de Dieu, Synode sur l’évangélisation, 8)
Comme lieux de Nouvelle Évangélisation, trois situations sont prévisibles: paroisses à communautés chrétiennes ferventes; jeunes communautés d’où le sens de la foi et les exigences de l’évangile semblent exclus, et enfin pays où le Christ et son évangile ne sont même pas connus.
On pourrait ajouter à ces horizons missionnaires, tout lieu paroissial marqué par la modernité. Caractérisé par l’immédiat et la primauté du sujet sans oublier la prédominance des choix et affinités, les chrétiens y prennent leur liberté par rapport à l’Église. Ils vivent une appartenance partielle à l’Église, phénomène qui n’a cessé de s’amplifier depuis 40 ans. «Religion à la carte».
Un dernier problème menace l’habitation chrétienne de notre temps, la sécularisation ou le vieillissement de la religion dans notre monde moderne. Au niveau de l’individu et de la paroisse, la sécularisation est caractérisée par des choix de vie plus indépendants et perte d’emprise du religieux sur les pratiques quotidiennes. Le primat accordé aux valeurs se résume en un culte des droits individuels de la personne. La religion ne semble plus au centre de la vie, et l’Église n’établit plus sa tutelle sur la vie publique. Ce qui n’empêche d’autre part une montée en puissance de nouveaux mouvements religieux pour remplacer les religions traditionnelles. Il importe de savoir assumer ce pluralisme religieux actuel sans pour autant réduire à si peu que pas l’importance du témoignage pour habiter chrétiennement notre temps.
Il s’agit donc d’habiter chrétiennement notre temps et nos lieux, ne fut-ce que la paroisse, et mieux encore de faire en sorte que le monde habite l’Église, celle ci étant le but de celui-là. Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême, disait, citant s. Augustin : « L’Église et la société sont un mélange inextricable. Dieu lui-même a choisi d’habiter notre humanité si mélangée ».
Un petit livre, mais témoin d’une optique prophétique, souhaitons-le.