1 Poème. D’Étân l’indigène.
2 L’amour de Yahvé à jamais je le chante,
d’âge en âge ma parole annonce ta vérité.
3 Car tu as dit : l’amour est bâti à jamais,
les cieux, tu fondes en eux ta vérité.
4 « J’ai fait une alliance avec mon élu,
j’ai juré à David mon serviteur :
5 À tout jamais j’ai fondé ta lignée,
je te bâtis d’âge en âge un trône. » Pause.
6 Les cieux rendent grâce pour ta merveille, Yahvé,
pour ta vérité, dans l’assemblée des saints.
7 Qui donc en les nues se compare à Yahvé,
s’égale à Yahvé parmi les fils des dieux ?
8 Dieu redoutable au conseil des saints,
grand et terrible à tout son entourage,
9 Yahvé, Dieu Sabaot, qui est comme toi ?
Yahvé puissant, que ta vérité entoure !
10 C’est toi qui maîtrises l’orgueil de la mer,
quand ses flots se soulèvent, c’est toi qui les apaises ;
11 c’est toi qui fendis Rahab comme un cadavre,
dispersas tes adversaires par ton bras puissant.
12 À toi le ciel, à toi aussi la terre,
le monde et son contenu, c’est toi qui les fondas ;
13 le nord et le midi, c’est toi qui les créas,
le Tabor et l’Hermon à ton nom crient de joie.
14 À toi ce bras et sa prouesse,
puissante est ta main, sublime est ta droite ;
15 Justice et Droit sont l’appui de ton trône,
Amour et Vérité marchent devant ta face.
16 Heureux le peuple qui sait l’acclamation !
Yahvé, à la clarté de ta face ils iront ;
17 en ton nom ils jubilent tout le jour,
en ta justice ils s’exaltent.
18 L’éclat de leur puissance, c’est toi,
dans ta faveur tu exaltes notre vigueur ;
19 car à Yahvé est notre bouclier ;
à lui, Saint d’Israël, est notre roi.
20 Jadis, en vision, tu as parlé
et tu as dit à tes fidèles :
« J’ai prêté assistance à un preux,
j’ai exalté un cadet de mon peuple.
21 J’ai trouvé David mon serviteur,
je l’ai oint de mon huile sainte ;
22 pour lui ma main sera ferme,
mon bras aussi le rendra fort.
23 L’adversaire ne pourra le tromper,
le pervers ne pourra l’accabler ;
24 j’écraserai devant lui ses oppresseurs
ses adversaires, je les frapperai.
25 Ma vérité et mon amour avec lui,
par mon nom s’exaltera sa vigueur ;
26 j’établirai sa main sur la mer
et sur les fleuves sa droite.
27 Il m’appellera : “Toi, mon père,
mon Dieu et le rocher de mon salut !”
28 si bien que j’en ferai l’aîné,
le très-haut sur les rois de la terre.
(Bible de Jérusalem)
Le Psaume 89 est le troisième psaume le plus long du Psautier après les Ps 119 et 78. Le plan du Psaume 89 est clair : vv. 2-3.4-5 : prélude ; vv. 6-15 : célébration de la puissance de Yahvé comme Créateur ; vv. 16-19 : transition ; vv. 20-28 : rappel de l’amour de Yahvé pour David ; vv. 29-38 : rappel de l’avertissement fait par Yahvé envers la dynastie de David ; vv. 39-46 : évocation des humiliations nationales ; vv. 47-52 : prière de conclusion ; v. 53 : doxologie.
Le Psaume 89 commence dans la joie qu’il y a à chanter l’amour de Dieu tel qu’il se manifeste dans la Création et dans l’Alliance avec David. Les vv. 2-5 annoncent ces deux thèmes qui seront développés respectivement aux vv. 6-15 et aux vv. 20-38. Mais à partir du v. 39, le Psaume 89 change complètement de perspective car Yahvé a abandonné son peuple et le roi descendant de David.
Nous sommes en présence d’un psaume de lamentation commune où l’on fait d’abord l’éloge de Dieu vis-à-vis du roi David qu’il a choisi et donc de sa bonté envers le peuple d’Israël pour lui avoir donné un tel roi ; puis, on se lamente de la façon dont Dieu a traité le roi davidique, le roi descendant de David, et plus généralement la façon dont Dieu a traité l’ensemble du peuple d’Israël.
Nous pouvons penser que le Psaume 89 fait référence à la chute de Jérusalem en 587 av. J.-C.. Le roi, descendant de David, à qui il fait référence serait ainsi Joiakîn, exilé en Babylonie en 597 av. J.-C..
vv. 1-5 : En 1 R 5,11, Étân et Hémân font partie d’un groupe de sages célèbres. Si le Ps 89 est attribué à Étân, le Ps 88 l’est à Héman. Le Psaume se poursuit en faisant référence aux deux actes de l’amour divin : la Création ; l’Alliance avec David.
Le psaume commence par un « Je », mais il faut reconnaître toute la communauté du peuple d’Israël derrière ce « Je ». Les versets 2 et 3 parlent de la Création comme étant une œuvre de l’amour de Dieu pour l’humanité alors que les versets 4 et 5 vont faire référence à l’Alliance de Yahvé avec David.
Au v. 4, nous avons quelqu’un d’autre qui prend la parole. C’est Dieu qui parle maintenant et qui fait référence à l’Alliance passée avec David (2 S 7 ; 1 Ch 17). Dieu a établi fermement le trône de David et de ses descendants sur le peuple d’Israël. Comme pour les Alliances avec Noé et Abraham, il ne s’agit pas d’un accord mutuel entre Yahvé et David. Nous avons l’impression que Dieu seul s’engage dans cette Alliance. David est appelé à la fois « élu » et « serviteur », c’est-à-dire qu’il y a en même temps des privilèges et des devoirs.
Il est intéressant de noter que si nous prenons le v. 3, qui parle de l’amour de Dieu pour la Création, et le v. 5, qui parle de l’Alliance entre Dieu et les descendants de David, nous avons les verbes « bâtir » et « fonder » qui apparaissent dans un ordre abb’a’.
vv. 6-15 : nous avons dans ces versets un hymne au Créateur. L’assemblée des saints, au v. 6, est en parallèle aux cieux. Il s’agit, selon la pensée des hommes du Proche-Orient ancien, de cette assemblée divine que Yahvé préside. On veut mettre en avant l’incomparabilité de Yahvé par rapport aux autres dieux. Les autres habitants des cieux, anges ou dieux, ne peuvent faire jeu égal avec Yahvé. Il est au-dessus du lot. Nous ne sommes pas du tout ici dans quelque chose qui ressemblerait à un polythéisme.
Au v. 9, Yahvé est présenté comme « Dieu Sabaot », c’est-à-dire « Dieu des armées », et nous devons comprendre que ces armées célestes sont constituées de tous les êtres célestes qui habitent les cieux et dont on a parlé dans les versets précédents.
Au v. 11, l’expression « c’est toi qui fendis Rahab » est un renvoi au combat mythique des origines contre le monstre marin Rahab, mais c’est aussi une allusion à la traversée de la mer Rouge. Les vv. 12-13 indiquent que Dieu est le propriétaire du cosmos, de tout ce qui est au ciel et sur la terre, tout simplement parce que c’est lui qui a tout créé. Le Tabor et l’Hermon sont cités ici car ce sont deux montagnes importantes. L’Hermon est plus haut (2814 m), mais se trouve loin (montagne de l’Anti-Liban) ; le Tabor est plus petit (588 m), mais il se dresse en Terre sainte (en Galilée).
Au v. 15, les mots « Amour » et « Vérité » forment une inclusion avec le v. 2 où l’on parlait de « l’amour de Yahvé » et de « [s]a vérité ». Au début du psaume, la vérité de Yahvé était établie dans les cieux, et Yahvé promettait d’établir la descendance de David et de lui bâtir un trône ; au v. 15, l’exercice fidèle de l’autorité est le moyen par lequel le propre trône de Yahvé est établi.
vv. 16-19 : nous quittons l’hymne au Créateur, mais nous ne sommes pas encore dans l’oracle messianique. Il n’est pas fait mention d’événements liés à l’Histoire, ou à la participation active de Yahvé dans l’Histoire, mais le peuple mentionné au v. 16 ne peut être que le peuple d’Israël, le peuple élu, bénéficiaire de l’Alliance, et au v. 19 on parle de Dieu comme du « Saint d’Israël ». Aux versets 18 et 19, nous avons l’apparition de la première personne du pluriel : « notre vigueur » ; « notre bouclier » ; « notre roi ». La puissance est exercée en Israël par le roi qui est le commandant en chef des armées. Même si nous avons vu que dans un certains sens il y a plusieurs saints, c’est-à-dire plusieurs dieux (cf. au v. 6 « l’assemblée des saints » ; au v. 8 le « conseil des saints ») ; dans un autre sens il n’y a qu’un Saint pour Israël, le Seigneur Dieu, Yahvé Sabaot.
vv. 20-28 : Le psaume continue en rappelant les promesses de Dieu envers David. Deux thèmes se retrouvent dans ces promesses. David sera délivré des ennemis qui l’attaquent ; et il sera victorieux quand il attaquera d’autres peuples.
Le début du v. 20 sert à introduire les versets 20 à 39 qui sont un discours de Yahvé à la première personne du singulier. Les fidèles du v. 20 sont Samuel, Gad et Natân qui sont tous liés à la vie de David. La façon dont Yahvé formule sa promesse est tout d’abord en termes d’assistance à un guerrier. L’expression « j’ai exalté » du v. 20 peut signifier à la fois que Dieu a fait monter David sur le trône et qu’il lui a donné la victoire sur ses ennemis au combat.
Comme le dit le v. 21, Yahvé a cherché quelqu’un parmi le peuple pour remplacer le roi Saül : « Yahvé s’est cherché un homme selon son cœur et il l’a institué chef de son peuple » (1 S 13,14) ; et c’est Samuel qui a oint David avec de l’huile (cf. 1 S 16). La puissance de Dieu qui s’est exprimée dans sa Création sera aussi à l’œuvre pour aider David. Le v. 26 « j’établirai sa main sur la mer et sur les fleuves sa droite » peuvent faire allusion à la Méditerranée d’une part et aux grands fleuves de l’Euphrate et du Tigre d’autre part, à moins qu’il s’agisse d’images renvoyant aux masses d’eaux qui marquent les bords de la terre. Yahvé est pour David le rocher de son salut.
2 S 7,14 et 1 Ch 17,13 ont la même formule d’adoption (« je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils ») qui concerne non pas David lui-même, comme dans notre psaume 89, mais les successeurs de David.
Être le premier-né n’est pas seulement un accident de naissance, le père peut choisir parmi ses fils son premier-né. David, qui est né cadet (cf. v. 20 « j’ai exalté un cadet de mon peuple ») est le premier-né de Yahvé, cela veut dire qu’il a un droit de regard sur tous les autres rois de la terre.
À suivre…
fr. Marc Leroy, o.p.