Rabbouni, fais que je te voie pour que je te suive !
Jésus et ses disciples étaient venus à Jéricho. Et tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, un mendiant aveugle, Bartimée, le fils de Timée, était assis au bord de la route.
Apprenant que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! »
Beaucoup de gens l’interpellaient vivement pour le faire taire, mais il criait de plus belle : « Fils de David, aie pitié de moi ! »
Jésus s’arrête et dit : « Appelez-le. » On appelle donc l’aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. »
L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus.
Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? – Rabbouni, que je voie. »
Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt l’homme se mit à voir, et il suivait Jésus sur la route.
COMMENTAIRES
La guérison de Bartimée précède l’entrée de Jésus à Jérusalem. Venant de Galilée, avec ses disciples et une grande foule, il traverse Jéricho et s’engage sur la petite route qui monte, à travers le désert de Juda, jusqu’à Jérusalem… Saint Marc situe donc la guérison de Bartimée à un moment charnière de son évangile : à la sortie de la dernière ville du voyage, juste avant Jérusalem.
Ce n’est pas la première fois que Jésus guérit un aveugle. Souvenons-nous ! Cela se passait à Bethsaïde, au nord du lac de Galilée, la ville d’André et de Pierre. On lui avait amené un aveugle pour qu’il le touche. Il s’y était alors repris à deux fois pour lui rendre la vue. Guérir de l’aveuglement est pour Marc une condition essentielle pour devenir disciple de Jésus ! Le Christ de Marc ne reproche-t-il pas souvent aux disciples d’être aveugles, de ne pas vouloir voir, de résister ?
Jésus doit en conséquence déployer toutes ses énergies pour vaincre les résistances des disciples et les rendre voyants. Car la résistance des disciples apparaît, dans l’évangile de Marc, comme un des grands obstacles à la bonne nouvelle de Jésus. Les disciples sont des aveugles, des sourds, des paralytiques que Jésus doit absolument guérir car ils devront continuer sa mission. D’une certaine façon, Jésus accomplit ce qu’avait annoncé le prophète Jérémie (1ère lecture) : « Je les rassemble des extrémités du monde. Il y a parmi eux l’aveugle et le boiteux. » Le groupe des disciples que Jésus rassemble sur la route qui le conduit vers Pâque est très clairement une « Église » d’aveugles, de boiteux, de muets, de lépreux… guéris. Et ce sont ces gens-là qui se mettent pour la plupart à suivre Jésus dans sa marche, comme Bartimée dont l’évangile dit : « Aussitôt l’homme recouvra la vue et il suivait Jésus sur la route ! »
Nous reconnaissons-nous dans cette histoire ? Cet aveugle qui a un nom (Bartimée) c’est chacun des disciples que Jésus connaît par son nom. C’est chacun de nous ! En nous contant la guérison de Bartimée, Marc nous raconte notre propre histoire et nous interroge. Pour être disciple, il faut se mettre à la suite de Jésus. Mais il ne s’agit pas de le suivre sur n’importe quel chemin. Comme Bartimée, nous avons décidé de suivre Jésus sur sa route à lui, celle qui monte à travers le désert vers Jérusalem. La route du chrétien est une montée avec Jésus vers la Passion et le Calvaire. C’est un chemin qui mène à Pâque, une traversée, un pèlerinage, un passage avec Jésus de la mort à la vie, de ce monde au Père, de la tristesse à la joie, des ténèbres à la lumière.
Mais il n’est pas possible de suivre Jésus sur ce chemin sans préalables. Cela nécessite d’abord de reconnaître que nous sommes aveugles et que nos yeux doivent être ouverts pour voir Jésus et le suivre. Il nous faut aussi reconnaître que nous sommes des mendiants, en quête du Christ et d’un salut qu’il est seul à pouvoir donner. C’est cette reconnaissance de notre aveuglement et de notre désir de guérir qui permet à Jésus, passant sur notre route, d’entendre le cri que nous lui adressons. Car le croyant est d’abord quelqu’un qui crie vers Jésus… Il pousse un cri qui vient du fond de son être et que rien ni personne ne peut étouffer. C’est ce cri que nous poussons sur la route de notre existence que le Christ vient fouler pour nous rencontrer ; c’est ce cri qui surgit à la rencontre de deux itinéraires, celui de Jésus et le nôtre ; c’est un cri d’au secours que nous poussons quand nous sommes à l’arrêt et que nous butons sur des obstacles ; c’est ce cri qui contraint Jésus à s’arrêter dans sa marche, qui provoque sa parole qui sauve, et qui nous met debout pour être avec lui sur son chemin.
À Jéricho, on n’a pas amené l’aveugle comme à Bethsaïde ! Le voilà qui crie et, à la voix de Jésus qu’il entend dans le brouhaha de la foule, il bondit en abandonnant tous ses biens : son manteau. A la voix de Jésus, le disciple ne discute pas, il s’élance de tout son être vers son Sauveur… « Confiance », lui disent les disciples, « lève-toi, il t’appelle ! » Aujourd’hui, semble dire Jésus à chacun de nous, « j’ai entendu ton cri et je t’appelle. Lève-toi comme Bartimée autrefois. Réveille-toi ! Ressuscite avec moi ! Marche avec moi ! » Sommes-nous prêts à vivre cette résurrection comme Bartimée ? Sommes-nous prêts à ne rien préférer à l’amour du Christ ? À tout perdre pour être avec lui, pour croire en lui, pour le suivre, pour marcher réveillé, ressuscité ? Pour emprunter avec lui, et à sa suite, la route de la vie ?
Le récit de l’appel de Bartimée nous fait découvrir que la foi provoque dans notre vie un immense bouleversement. Croire, c’est voir sur nos routes la présence de Jésus, c’est retrouver la vue de l’invisible, c’est monter vers Jérusalem, c’est marcher vers Pâque, c’est voir Jésus qui nous conduit là où il est. « Mon ami, toi qui a crié vers moi, que veux-tu que je fasse pour toi ? Rabbouni, fais que je te voie pour que je puisse te suivre ! C’est ton cri de foi en moi qui t’a guéri ! Maintenant, viens et suis-moi ! Faisons la route ensemble vers Jérusalem ! Je suis le chemin… »
Frère François-Dominique CHARLES, o.p.