La magie du grand écran permet de passer, le temps d’un film, d’une situation à une autre, même si celles-ci sont à l’opposé comme la paix et la guerre. Deux récents films québécois en sont l’illustration. Dans INCH’ALLAH, la talentueuse réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette aborde le conflit israélo-palestinien tandis que KARAKARA de Claude Gagnon traite d’une quête de paix et joie de vivre en terre japonaise. Au Festival des films du monde de Montréal (2012), cette dernière production s’est d’ailleurs mérité le prix spécial pour l’ouverture au monde ainsi que le prix du public pour le meilleur film canadien.
KARAKARA
Claude Gagnon (KEIKO, THE PIANIST), le plus japonais des cinéastes québécois, persiste dans la veine de la quête existentielle exotique avec KARAKARA. Un titre du reste judicieusement choisi – «kara» signifiant en langue nippone «vide» – pour illustrer le ressourcement progressif des deux protagonistes en crise.
Dans l’archipel japonais d’Okinawa, où il vient de compléter un atelier de Qigong, Pierre, professeur de littérature à la retraite, fait la connaissance de Junko, une mère de famille dans la quarantaine qui lui offre ses services d’interprète. Au contact de ce tranquille sexagénaire montréalais, avec qui elle fait fiévreusement l’amour, Junko se sent revivre.
Fuyant son mari qui l’a battue une fois de trop, elle supplie Pierre de l’emmener avec lui dans une île au Nord de l’archipel, où il compte rencontrer une légende vivante du tissage des fibres de bananes. Au fil de ce périple moins paisible que prévu, le Québécois apprend à mieux connaître sa compagne de voyage, à qui il finira par révéler les véritables motifs de son séjour au Japon.
En optant pour la formule du road movie accidenté, Gagnon injecte plus d’humour que dans son précédent KAMATAKI, conférant par moments à ce nouveau film des airs de «screwball comedy» assez rafraîchissants. Et ce, malgré la gravité de certains sujets, dont la violence conjugale, le deuil et la fin d’une longue amitié.
La mise en scène soignée, jamais ostentatoire, profite des magnifiques paysages de la région d’Okinawa, trop peu exploités au cinéma. Le jeu sobre du rare Gabriel Arcand (MAMAN EST CHEZ LE COIFFEUR) et celui, plus coloré, de Youki Kudoh (SNOW FALLING ON CEDARS), ajoutent à la réussite de l’entreprise.
INCH’ALLAH
S’inspirant de ses séjours au Moyen-Orient, Anaïs Barbeau-Lavalette (LE RING) fait une fois de plus preuve de sincérité et d’aplomb dans son deuxième long métrage de fiction, évocation à échelle humaine du conflit israélo-palestinien. Comme INCENDIES, REBELLES et SHAKE HANDS WITH THE DEVIL avant lui, INCH’ALLAH a le grand mérite d’ouvrir le cinéma québécois sur le monde, favorisant une salutaire rencontre avec l’autre.
Obstétricienne dans une clinique de fortune en territoire palestinien, la Québécoise Chloé rentre le soir à son appartement en Israël, où plane constamment la menace d’attentats-suicides. Tout en fraternisant avec Ava, une jeune voisine qui fait son service militaire au poste de contrôle qu’elle traverse chaque jour, Chloé développe un lien d’amitié avec Rand, une patiente sur le point d’accoucher. C’est ainsi que l’obstétricienne fait la connaissance de la mère de Rand, mais aussi celle de son petit frère autiste et de son aîné, impliqué dans la résistance contre l’occupant israélien.
Au lendemain d’une série de tirs sur une colonie juive, un char d’assaut, envoyé en patrouille de l’autre côté du mur de sécurité, écrase accidentellement un petit Palestinien frondeur que Chloé avait pris en affection. Fortement ébranlée par cette mort, ainsi que par d’autres événements tout aussi dramatiques, la jeune Québécoise a de plus en plus de difficultés à respecter son devoir de neutralité.
Soutenue par une caméra à l’épaule nerveuse, la réalisation souple et vivante fait en partie oublier quelques dialogues peu subtils, ainsi que la prise de position politique sans équivoque de l’auteure, qui ne sera pas du goût de tous. Évelyne Brochu (CAFÉ DE FLORE) défend avec conviction un personnage qui aurait toutefois gagné à être mieux défini.