Je vous appelle mes amis !
Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. Père saint, garde mes disciples dans la fidélité à ton nom que tu m’as donné en partage, pour qu’ils soient un, comme nous-mêmes.
Quand j’étais avec eux, je les gardais dans la fidélité à ton nom que tu m’as donné. J’ai veillé sur eux, et aucun ne s’est perdu, sauf celui qui s’en va à sa perte de sorte que l’Écriture soit accomplie.
Et maintenant que je viens à toi, je parle ainsi, en ce monde, pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés.
Je leur ai fait don de ta parole, et le monde les a pris en haine parce qu’ils ne sont pas du monde, de même que moi je ne suis pas du monde.
Je ne demande pas que tu les retires du monde, mais que tu les gardes du Mauvais.
Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde.
Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité.
De même que tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde.
Et pour eux je me consacre moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité.
COMMENTAIRE
« Je vous appelle mes amis ! » Arrêtons-nous sur cette parole de Jésus prononcée au soir du jeudi saint, la veille de sa passion, après le dernier repas. Ces mots sont destinés au petit groupe des disciples rassemblés autour de Jésus, dans une intimité toute particulière puisqu’il s’agit de ses dernières paroles, prononcées quelques heures avant son arrestation et sa mort. Il leur a lavé les pieds pour leur faire comprendre que le Seigneur va prendre la place du serviteur et il leur a demandé de faire de même entre eux. Il vient de leur dire : « Vous m’appelez Maître et Seigneur et vous dites bien car je le suis ! » (Jn 13,13). Or, même si Jésus prend volontairement la place du serviteur, il demeure Maître et Seigneur, et la juste place des apôtres par rapport à lui est celle de serviteurs. Mais voilà qu’il leur dit : « Je ne vous appelle plus serviteurs… Maintenant, je vous appelle mes amis ! » Quel est donc le sens de ces paroles ?
Ces derniers enseignements de Jésus ne sont pas seulement destinés aux disciples d’autrefois. Pour l’auteur du quatrième évangile, ce sont des paroles qui sont adressées à toute la communauté johannique et à tous ceux qui écoutent l’évangile ; aujourd’hui, c’est à nous que s’adressent ces paroles. Ce ne sont donc pas seulement les apôtres qui étaient présents avec Jésus au soir du jeudi saint, ni les membres de la première communauté chrétienne fondée par l’apôtre Jean pour qui fut écrit le quatrième évangile, qui sont déclarés « amis » du Seigneur ! Jésus s’adresse à nous : « Je vous appelle mes amis ! » Dans la pleine lumière de ce Temps pascal, nous nous souvenons que ces paroles furent prononcées dans la nuit du jeudi saint.
Pour saint Thomas d’Aquin, « ce qui est aimé d’un amour d’amitié est aimé purement et simplement, et pour lui-même. » Être l’ami de quelqu’un c’est se savoir simplement et gratuitement aimé par lui : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi, nous dit Jésus, je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour ! » Le grand témoignage qu’on peut donner à un ami, quand il est éprouvé, est certainement de venir au plus vite pour être à ses côtés, pour le soutenir, pour être proche de lui. Jamais l’ami ne vous abandonne dans les moments difficiles. Au contraire, vous savez que vous pouvez appeler et déranger ceux que vous aimez quand vous traversez des moments difficiles : ils seront là aussi vite qu’ils le pourront. Simplement entendre leur voix grâce au téléphone ou les voir arriver chez vous pour vous réconforter provoque en vous une immense joie et beaucoup de paix intérieure. La présence d’un ami est tellement importante quand les choses vont mal ! Saisir la main de l’ami rassure tellement !
Il en va de même pour Jésus au moment de la terrible épreuve de sa passion. Il compte sur la présence des siens et sur leur amitié. Dans l’évangile de Jean, tous les apôtres laisseront Jésus seul. Pierre, le premier de tous, niera même le connaître ! Seuls « le disciple bien-aimé » et la « mère » de Jésus, accompagnée de quelques femmes, seront présents au pied de la croix. Le disciple anonyme, « que Jésus aimait », ne représenterait-il pas tous les « amis » de Jésus ? Cet ami qui, avec la mère, demeure fidèlement là, auprès de Jésus qui meurt par amour de tous ses amis : « Aimez-vous comme je vous ai aimés ! Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Vous êtes mes amis… » Ces paroles prononcées avant la Passion en donnent tout le sens. Jésus donne sa vie pour tous ses amis. Le grand commandement de l’amour, que Jésus nous laisse comme sa dernière volonté, invite tous ses amis à établir des relations d’amitié non seulement entre eux mais aussi avec tous : « C’est moi qui vous ai choisis… afin que vous partiez et donniez du fruit, et que votre fruit demeure ! » Le fruit dont il est question ici ne serait-il pas celui de l’amour d’amitié ?
Ayant découvert, au jardin du Golgotha et du tombeau vide, le secret de l’immense amour de Jésus pour nous tous, nous ne pouvons pas en rester là. Le Ressuscité nous choisit parce que nous sommes ses amis et il nous envoie vers tous les habitants de la terre pour les inviter à entrer dans son grand réseau d’amis. C’est par amitié que Jésus donne sa vie ! C’est par amitié qu’il nous envoie pour étendre son réseau d’amis aux dimensions de la terre entière. Pierre Claverie, ce frère dominicain évêque d’Oran assassiné avec son chauffeur musulman en 1996 à la porte de son évêché, avait bien compris ce message de saint Jean. Expérimentant la difficulté d’un véritable dialogue entre chrétiens et musulmans, il disait : « Le dialogue ne peut pas encore commencer ; car avant le temps du dialogue, il faut le temps de l’amitié. L’amitié qui permet la parole vraie, la parole qui écoute, la parole qui ne nie pas l’autre en cherchant à le convaincre… Je sais que je ne serais pas vraiment chrétien si je n’aimais pas l’amitié, si je ne la vivais pas avec les musulmans que je rencontre en Algérie. »
Aujourd’hui, Jésus nous comble de joie en nous disant : « Vous êtes mes amis ! » Demeurons donc dans cette relation d’amitié avec le Christ et faisons tout pour nous aimer les uns les autres comme Jésus nous a aimés. Commençons par être attentifs à tous ceux avec qui nous vivons quotidiennement, en leur rendant service, en les soutenant quand ils sont éprouvés. N’oublions jamais que Jésus est Sauveur de toute l’humanité (cf. Jn 4,42 ; 1Tm 4,10), pas seulement des chrétiens. Tous les habitants de ce monde sont donc appelés à devenir des « amis de Dieu » parce que Jésus appelle « amis » non seulement les chrétiens mais aussi tous les enfants de Dieu qu’il est venu rassembler dans l’unité (cf. Jn 11,52). Le Royaume de Dieu est, pourrait-on dire, comme le grand réseau des amis de Jésus appelés à communiquer sur la « toile » de l’Esprit-Saint. À nous d’y inviter tous ceux qui ne s’y sont pas encore connectés.
Frère François-Dominique CHARLES, o.p.