Sénèque (1 av. J.C. – 65 ap. J.C.), qui répand la doctrine stoïcienne à Rome, est en matière religieuse un spiritualiste que préoccupent les questions métaphysiques. Deux aspects caractérisent cet extrait d’une lettre à Lucilius : la nature sacrée de l’âme et le pressentiment de Dieu dans la solitude, qui se rattache à la fois aux vieux cultes latins et au climat romantique de l’époque de Néron.
Dieu est près de toi, avec toi, en toi. Oui, Lucilius, en nous-mêmes, réside un esprit saint, auquel n’échappe rien de ce que nous faisons, bien ou mal; et comme nous le traitons, il nous traite. Personne n’est honnête sans Dieu : quelqu’un pourrait-il sans son aide, se hausser au-dessus de la fortune? C’est lui qui nous inspire les résolutions grandes et hardies. Au cœur de tout homme de bien «réside un dieu; lequel on l’ignore».
Si tu trouves une forêt où se pressent de vieux arbres d’une hauteur extraordinaire, dont les branches, en étages de verdure dérobent la vue du ciel, la vigueur de cette poussée sylvestre, le mystère du lieu, l’épaisseur continue de cette ombre au milieu d’une campagne t’imposent l’idée d’une puissance divine. Une grotte qui ronge profondément la base d’un mont, et dont l’étonnante ampleur n’est pas due à la main des hommes, mais à des causes naturelles, frappera ton esprit d’un pressentiment religieux.
Nous vénérons les sources des grands fleuves; le flux soudain d’une eau cachée s’accompagne d’autels; un culte s’attache aux sources d’eaux chaudes; et des lacs ont dû à leur noirceur ou à leur profondeur sans mesure un caractère sacré. Et si un homme se présente inaccessible à la peur, à l’abri des désirs, heureux dans l’adversité, serein au milieu des tempêtes, dominant l’humanité, de plain-pied avec les dieux, vous ne sentirez pas pour lui de la vénération, vous ne direz pas : «Ceci est trop grand et sublime pour être à la mesure de ce corps chétif; une force divine est descendue en lui?»
Une âme d’élite, équilibrée, qui passe, dédaigneuse des choses, et rit de nos craintes et de nos vœux, est mue par une puissance divine. Sans l’assistance d’une divinité, une si grande merveille ne saurait subsister : aussi tient-elle pour la meilleure partie d’elle-même au lieu d’où elle est descendue.
Comme les rayons du soleil touchent sans doute la terre, mais sans quitter le centre d’où ils partent, ainsi un esprit sublime et sacré, descendu pour nous faire de plus près connaître les choses divines, vit en nous, mais demeure attaché à son origine; c’est d’elle qu’il relève, vers elle qu’il élève ses désirs, ses efforts, supérieur à cette vie humaine à laquelle il se mêle.