Homélie pour les funérailles du frère Jean-René Bouchet
Prieur provincial des Dominicains de la Province de France
Homélie prononcée en l’église de l’Annonciation,
à Paris, le 17 décembre 1989,
par le Père A. M. CARRE, o.p.
Les manières de mourir ne se ressemblent pas. Je pense aux derniers instants d’un ami qui dit à sa femme : « Tu te rends compte, je vais voir Dieu ! », et à d’autres morts sans lumière. Il y a des morts que l’on attend avec tremblement, et d’autres dans le désir d’une libération. Il y a souvent la même question que celle de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face : « Comment vais-je faire pour mourir ? »
La mort de notre Frère Jean-René eut lieu subitement. En quelques instants, venu de l’en-deçà de la vie il a gagné ce que nous appelons l’au-delà. L’avenir est soudain devenu présent. (…)
Dimanche dernier, il rentrait tard de l’ordination d’un de nos jeunes frères à Lund, en Suède. Le lendemain, au « Centre Sèvres » des Pères jésuites, il donna un cours sur la vie religieuse. Dans la soirée, les Frères du couvent Saint-Dominique, qui le rencontrèrent, le trouvèrent particulièrement joyeux. C’est le dernier sourire que nous avons eu de lui.
Cette joie ne venait pas seulement des événements qui avaient remplis les deux journées précédentes. Lui qui était sujet à des épuisements nerveux – car elles étaient lourdes, ses responsabilités -, lui qui avait la hantise de ne pas terminer, en s’y consacrant de son mieux, le service de la Province, il ressentit un grand soulagement, une véritable détente de l’esprit et du corps depuis qu’il avait officiellement convoqué le prochain Chapitre électif. Nous le retrouvions avec quelque chose de cette âme d’enfant qu’il avait conservée, et qui se traduisait par la gaieté, de la malice, une intime liberté. (…)
Il avait le sens, le goût, la joie de la parole, et ce n’est pas étonnant. Il était dominicain, et il était méridional. La parole n’était pas seulement pour lui l’occasion d’annoncer l’Évangile, ou d’enseigner avec flamme ce qu’il avait reçu des Pères de l’Église. La prédication, écrit-il dans son livre sur saint Dominique n’est pas une œuvre : « Il s’agit de susciter dans l’Église une manière d’être : être à Dieu, être ensemble, être au monde. De cette manière d’être la prédication est un élément organique ».
La parole lui permettait aussi d’établir un certain climat. Il aimait exprimer ses idées, et même des idées passagères, pour voir comment son interlocuteur réagirait. Quant à ses certitudes, il les soumettait pareillement à l’épreuve de la pensée et de l’affectivité des autres. D’où le désir de rencontrer des frères, afin d’échanger avec eux des réflexions dans la douceur d’un entretien cœur à cœur. Lui qui défendait avec tant de force, au dehors, les intérêts dominicains, comme peut le faire un homme de la terre, il trouvait son repos à deviser sur l’Ordre en toute liberté.
C’était un homme évangélique, très actif jusqu’à l’usure de ses forces, et en même temps fervent dans la prière. Comme les premiers compagnons de saint Dominique c’était par le psautier, et par un psautier continu, qu’il aimait faire monter vers Dieu ses louanges et ses implorations.
Le Père J-R Bouchet était mon professeur de patristique à Rangueil, en 1971/1972. Quelques années plus tard, je l’ai revu à Strasbourg, où je suivais des cours d’histoire de l’art, comportant notamment les icônes.
Je reconnais tout à fait son charisme dans cette belle homélie ! Cela dit, celle-ci aurait encore pu évoquer la belle voix de basse de ce précieux chantre des magnifiques compositions musicales du Père André Gouzes.