En la période de l’année où nous sommes, dans les pays du Nord, la nuit gagne encore du temps sur le jour. C’est tout naturellement que l’envie de dormir nous presse. Ah qu’il ferait bon fermer les yeux ! Ne plus penser. Ne plus bouger. Ne plus regarder, ni même entendre. Mais comme chacun manque de temps pour vaquer à toutes ses affaires, il lui faut chaque matin se lever et remplir sa journée d’occupations jusqu’au soir. Mais suffit-il d’être debout pour être éveillé ? Ne nous arrive-t-il pas de dormir debout, d’avoir l’air éveillés sans l’être vraiment ? Nous avons nos habitudes, nos convictions, nos refrains, nos chansons, qui nous tiennent parfois dans un état de somnolence et de déconnexion d’avec la réalité. Notre petit bagage nous suffit. La lucidité, celle qui accompagne l’éveil véritable, inquiète, elle est déstabilisante.
Jésus pourtant en a donné plus d’une fois la consigne à ses disciples : « Veillez ! » leur dit-il. Il y tient drôlement. Selon lui chacun de ses disciples devrait prendre bien garde d’être trouvé endormi. Il risquerait de passer à côté de l’essentiel. Or nos pratiques ecclésiales vont allègrement dans le sens contraire de la demande de Jésus. Nous nous laissons distraire et nous dormons. Nous n’aimons pas les questions ni les remises en question. Nous aimons mieux que rien ne change de nos plans et de nos projets. À quoi bon rêver d’ailleurs, d’autrement, d’autre chose ?
Dans l’histoire de l’Église québécoise, c’était souvent comme si on nous disait : « Endormez-vous! Ne bougez pas trop! Restez tranquilles! » En fait, c’était la bonne façon de faire taire les prophètes, de mettre de côté la fonction « critique », de nous ralentir dans notre recherche d’une plus grande fidélité au Christ et de plus d’intégration de la foi chrétienne dans nos vies. On statuait que le Christ avait déjà tout dit et qu’il avait déjà tout fait. Qu’il fallait seulement retourner puiser en arrière, à la source. Le temps de l’Avent nous rappelle pourtant chaque année qu’il y a un avenir : le Christ est venu, il vient et il viendra. Depuis deux milles ans nous puisons d’ailleurs constamment dans les diverses cultures, sagesses et religions du monde. C’est avec tout ce bagage et le discernement de l’Esprit que nous arrivons à nous approprier la Bonne Nouvelle du Christ. La tradition chrétienne s’est ainsi embellie, adaptée; elle s’est dépouillée aussi. Les remises en questions furent salutaires à l’Église. Si parfois elle a dû s’appauvrir de certains éléments accessoires, c’était pour s’enrichir de valeurs inédites essentielles.
Nos rencontres et nos dialogues sont porteurs d’appels qui nous font avancer sur des chemins de fraternité et de paix. Le propre et le génie de l’être humain, c’est d’être debout et de veiller. Cet attribut est éminemment requis chez le croyant et la croyante authentiques. Grâce à Dieu des hommes et des femmes se lèvent, éveillés dans la nuit. Dans la foi et l’espérance, les disciples du Ressuscité s’avancent pour témoigner du monde nouveau et de l’avènement du Royaume.
Jacques Marcotte, O.P.
St-Dominique de Québec