La multitude est appelée mais les élus sont peu nombreux
Jésus disait en paraboles : « Le Royaume des cieux est comparable à un roi qui célébrait les noces de son fils.
Il envoya ses serviteurs pour appeler à la noce les invités, mais ceux-ci ne voulaient pas venir.
Il envoya encore d’autres serviteurs dire aux invités : ‘Voilà : mon repas est prêt, mes bœufs et mes bêtes grasses sont égorgés ; tout est prêt : venez au repas de noce. ‘
Mais ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce ;
les autres empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent.
Le roi se mit en colère, il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et brûla leur ville.
Alors il dit à ses serviteurs : ‘Le repas de noce est prêt, mais les invités n’en étaient pas dignes.
Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous rencontrerez, invitez-les au repas de noce. ‘
Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils rencontrèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives.
Le roi entra pour voir les convives. Il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce,
et lui dit : ‘Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ? ‘ L’autre garda le silence.
Alors le roi dit aux serviteurs : ‘Jetez-le, pieds et poings liés, dehors dans les ténèbres ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents. ‘
Certes, la multitude des hommes est appelée, mais les élus sont peu nombreux. »
COMMENTAIRE
Matthieu ouvre le chapitre 22 de l’évangile en écrivant : « Jésus disait en paraboles ». Le mot « paraboles » est au pluriel ; or il n’y a plus d’autres paraboles dans la suite de l’enseignement de Jésus jusqu’au chapitre 25. L’évangile d’aujourd’hui comporte donc au moins deux paraboles de Jésus qui ont été associées par l’évangéliste en raison de leur thème commun : un repas des noces ; mais l’union de ces deux paraboles révèle aussi une perspective catéchétique de Matthieu qu’il nous faut découvrir.
Selon la première parabole, le roi « envoie » (il s’agit ici du verbe grec d’où vient le mot « apôtre ») ses serviteurs pour « appeler » aux noces de son fils ceux qui étaient invités (le verbe grec signifie à la fois « inviter » et « appeler »). Ces deux verbes qui sont très importants dans la tradition biblique et chrétienne primitive donnent tout de suite le ton : Dieu envoie des missionnaires pour appeler les membres de son peuple à participer à un repas de noces.
Mais les invités maltraitent et tuent les envoyés ; ils refusent de répondre positivement à l’appel, préférant vaquer à leurs occupations. Ceux qui étaient appelés sont alors dits « indignes » de l’appel et le roi décide de se tourner vers ceux qu’il n’avait pas appelés : il est intéressant de remarquer que « les bons comme les mauvais » sont invités ! Alors que la première invitation était destinée à quelques privilégiés, les envoyés vont désormais au dehors de la ville, au point de départ des routes avec la mission d’appeler tous les passants, sans faire de distinction. Et voici que ces gens répondent et remplissent la salle de noces. Puisque Jésus s’adresse ici « aux grands prêtres et aux Pharisiens » (cf. Mt 21,23 et surtout 45), le sens de la parabole est évident : si le peuple de Dieu ne répond pas à son appel, il se tournera vers ceux qui y répondront.
L’accent est fortement mis ici sur l’appel. Le roi lance un appel (qui ressemble à une convocation) à des invités choisis, à des élus, par l’intermédiaire de ses serviteurs. Le verbe grec « appeler, inviter » est repris six fois dans ce petit récit : chacun peut retrouver ces six emplois ! Les premiers appelés sont ici les Juifs, ceux dont la ville a été détruite, ceux qui appartiennent au peuple « élu ». En opposant l’attitude de refus des Juifs à l’attitude d’accueil des païens, cette parabole souligne que l’appel de Dieu est premier et que cet appel attend une réponse. Le refus des « élus » de venir au festin des noces du fils du roi est à l’origine de l’ouverture de l’appel à ceux du dehors de la ville, à ceux qui ne sont pas élus : les non juifs.
« La multitude est donc appelée, même si, et parce que, les élus sont peu nombreux ». Si cette parabole est colorée d’une pointe polémique évidente puisqu’elle décrit des rapports conflictuels entre le christianisme primitif et le judaïsme à l’époque de Matthieu, sa pointe remonte à Jésus : elle veut avant tout souligner l’importance de la réponse que le croyant est appelé à donner librement à l’invitation que Dieu lui adresse dans le Christ. Cette parabole de l’appel aux noces a dû cependant poser des problèmes aux premières communautés chrétiennes. D’une part, la plupart des membres de la communauté de Matthieu appartenait au peuple juif qui se retrouve dans la parabole exclu en majorité du banquet des noces messianiques. D’autre part, l’appel lancé aux bons comme aux mauvais laisse entendre que tous peuvent répondre à l’appel de Dieu.
Dans la deuxième parabole, il n’est plus question de la réponse donnée. Le roi fait un festin de noces pour son fils. Quand la salle est remplie de convives, il entre pour les rencontrer. L’accent du récit porte alors sur le vêtement des invités. Pour participer aux noces, il y a donc une seconde condition à remplir. Répondre à l’appel est certes nécessaire, mais encore faut-il revêtir un vêtement. Ce vêtement c’est le Christ lui-même au sens où Paul dit qu’il nous faut revêtir le Christ : « vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ » (Ga 3,27). Celui qui n’a pas revêtu ce vêtement de la foi, de la justice, de la résurrection, ne peut participer au banquet de noces. Cette parabole évoque probablement le repas eucharistique auquel seul peut participer celui qui a revêtu le Christ, le croyant, le baptisé : « Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau » (Ap 19,9).
Les deux paraboles réunies soulignent les deux conditions pour participer au repas du Seigneur : il faut donner une réponse personnelle positive à l’appel de Dieu, mais il faut aussi porter le vêtement du Christ. En réunissant ces deux paraboles en une, Matthieu exprime que les deux conditions sont essentielles et indissociables pour participer à l’eucharistie. Ces deux paraboles présentent le Royaume comme un banquet, une belle image puisée dans la tradition biblique. Le récit de Matthieu semble pétri de nombreuses allusions au texte d’Isaïe de la première lecture où Dieu invite, avec son peuple, tous les peuples de la terre à son banquet de viandes grasses. Chaque eucharistie anticipe et réalise déjà ce banquet messianique de la fin des temps.
Si, dans sa grande miséricorde, « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (1Tm 2,4), il ne nous sauvera pas sans notre collaboration : il nous appelle et nous invite à lui répondre par toute notre existence. La participation à l’eucharistie nous demande de porter le vêtement reçu au baptême. Que le Seigneur répande son Esprit dans nos cœurs pour que nous soyons toujours prêts à répondre à son appel en nous présentant à lui avec le vêtement lumineux du Christ ressuscité que nous avons reçu au jour de notre baptême.
Frère François-Dominique CHARLES, o.p.