Un long psaume. L’un des sept ou huit parmi les plus longs du psautier.
Un psaume alphabétique. L’un des sept ou huit dont les sections, qui se présentent ici comme des strophes de quatre lignes chacune, font intervenir l’une après l’autre au début les 22 lettres de l’alphabet hébreu.
Un psaume qui se répète. Comme le psaume 119, le psaume le plus long de tout le psautier et un psaume alphabétique lui aussi, le psaume 37 ne fait que reprendre et moduler diversement, d’un bout à l’autre, une même idée fondamentale.
Cette idée, en l’occurrence, n’est pas, comme dans le psaume 119, celle de l’attachement à la loi comme voie privilégiée de communion au vouloir de Dieu. Elle concerne plutôt la rétribution des justes et des pécheurs, conçue, à la manière ancienne, dans une perspective purement historique et terrestre. C’est elle dont la récurrence se retrouve dans les trois parties du psaume.
Garde-toi de t’échauffer contre les méchants
Une première partie, qui comprend les onze premiers versets, se présente comme une section en « tu », où domine l’impératif de la deuxième personne du singulier. Il ne s’agit pas ici du « tu » familier de la prière et de l’invocation à Dieu, qui court tout au long des psaumes : « Dieu, viens à mon aide », « Seigneur, je t’appelle, accours vers moi », « Seigneur, réponds-moi, entends la cri de ma prière ». La dizaine d’impératifs qui se pressent dans la première partie du psaume se présentent plutôt comme des conseils ou des exhortations de sagesse adressés à un juste : « Garde-toi de t’échauffer »( v. 1), « compte sur Dieu », « agis bien » (v. 3), « remets ton sort au Seigneur », « compte sur lui » (v. 5), « sois calme et confiant devant Dieu » (v. 7), puis de nouveau « garde-toi de t’échauffer » (v. 8). Ces leçons de sagesse s’adressent plus exactement à un juste que pourraient scandaliser et révolter le spectacle de l’impiété ainsi que l’avantage et la prospérité apparente du méchant en ce monde. Garde ton calme, lui répète le psaume, et dis-toi bien que les apparences sont trompeuses : tôt ou tard, « les méchants seront extirpés, qui espère Dieu possédera la terre » (v. 9).
Jamais je n’ai vu le juste abandonné
À partir du verset 12 jusqu’au verset 26, le psaume, délaissant le « tu », passe à des considérations générales à la troisième personne. Le sage fait maintenant part de son expérience et de ses observations relatives à la conduite et au sort contrastants des justes et des impies. Ceux-ci, à la différence des premiers, dont la marche plaît à Dieu (v. 23), se révèlent à la fois « ennemis du Seigneur » (v. 20) et agresseurs des justes, se moquant du droit et prêts, s’il le faut, à recourir à la violence (v. 12-14).
Cette section, comme la précédente, est scandée par le même refrain : quoi qu’il puisse paraître, le succès et la prospérité des impies s’avéreront sans lendemain. Grâce à Dieu, la situation un jour sera renversée en faveur des justes :
Mieux vaut un peu pour le juste
que tant de fortune pour l’impie;
car les bras de l’impie seront brisés,
mais le Seigneur soutient les justes. (v. 16-17)
Tu verras les impies extirpés
Voilà qu’au verset 27 commence une troisième et dernière partie où reviennent le « tu » et l’impératif à la deuxième personne du singulier : « Évite le mal, agis bien, tu auras une habitation pour toujours ». Jusqu’à la fin du psaume, ces exhortations adressées au juste (v. 27-28, 34, 37-38), de même type que celles de la première partie du psaume (v. 1-11), alternent avec des développements et des réflexions de sagesse (v. 29-33, 35-36, 39-40) comme celles de la deuxième partie (v. 12-26). Le thème dominant reste toujours le même, inlassablement :
Les malfaisants seront détruits à jamais
et la lignée des impies extirpée;
les justes posséderont la terre,
là ils habiteront pour toujours. (v. 28b-29)
Sous la variété des mots et des images, une pensée circulaire et répétitive
Puisqu’il n’y a de rétribution que durant cette vie, répète le psaume, ils ne sauraient durer, le bonheur et le succès de ces gens qu’il désigne près d’une quinzaine de fois comme des impies, puis, tour à tour, comme des méchants (v. 1 et 9), des malfaisants (v. 28), des pécheurs (v. 38), ou encore comme des artisans de fausseté (v. 1), des gens qui usent d’intrigues (v. 7) et des parvenus (v. 7). Tôt ou tard, affirme-t-il en termes propres et en multipliant encore les synonymes, ces gens disparaîtront de la terre, ils seront détruits, ils périront et seront anéantis. Les méchants, martèle-t-il encore de façon imagée, se faneront et se flétriront comme l’herbe (v. 2), ils seront extirpés jusqu’à la racine (v. 9, 22, 34, 38), soit en eux-mêmes, soit en leur descendance.
Méprisés, harcelés, éprouvés de toutes manières pour un temps, ils connaîtront un sort inverse, sinon en eux-mêmes du moins en leur descendance, ceux que le psaume désigne pas moins d’une dizaine de fois comme « les justes », puis, tour à tour, comme « ceux qui espèrent le Seigneur » (v. 9, 14), « ceux qui bénissent le Seigneur » (v. 22a), « les amis (de Dieu) » (28a), les « humbles » (v. 11) et les « parfaits » (v. 18, 37). Ceux-là, répète-t-il pour exprimer le sort heureux qui les attend, « posséderont » ou « hériteront de la terre » (v. 8, 11, 22, 29, 34). Cette formule, ici, ne fait pas référence, comme ailleurs dans la Bible, à une terre promise, mais à une terre déjà reçue en héritage, où il s’agit désormais de demeurer de façon stable. Si l’on veut, il ne s’agit pas d’entrer mais de demeurer en possession de la terre. Non pas de recevoir l’héritage, mais de jouir de l’héritage. Celui-ci est assuré aux justes et à leur descendance, alors que les impies, aussi florissants qu’ils puissent apparaître, seront exterminés et disparaîtront de la terre.
« Heureux les doux », ou l’écho le plus célèbre du psaume
Avec Job et après lui, l’antique théorie de la rétribution terrestre, dont le psaume 37 s’offre comme témoin, sera dépassée. « Ni lui, ni ses parents n’ont péché », répondra Jésus à des disciples tentés malgré tout de faire appel, pour expliquer le cas d’un aveugle de naissance, à quelque persistance attardée de la vieille doctrine (Jn 9,3).
Organe témoin d’une conception dépassée, le psaume 37 n’en a pas moins inspiré l’une des neuf béatitudes qui, chez Matthieu, ouvrent le Sermon sur la montagne : « Heureux les doux, ils obtiendront la terre en héritage » (Mt 5,4). Les mots en italiques reprennent ceux du verset 11 du psaume, tels qu’ils avaient été traduits en grec par la Septante. Si les justes sont désignés comme des doux dans ce verset, c’est par opposition à des impies dont il est dit, dans l’environnement immédiat, qu’ils font preuve de violence, qu’ils « complotent contre le juste et grincent des dents contre lui » (v. 12), qu’ils « tendent leur arc » et « tirent l’épée pour égorger l’homme droit » (v. 13). On comprend que le doux est à l’inverse identifié au non-violent, à celui qui n’agresse pas les autres. Et c’est bien ce sens qu’a le mot « doux » quand, à deux reprises il est appliqué à Jésus dans l’évangile de Matthieu. À la différence de maîtres durs et exigeants, Jésus, étant « doux et humble de cœur », n’accable pas ses disciples de fardeaux écrasants (Mt 11,29). Et s’il est acclamé comme roi-messie lors de son entrée à Jérusalem (Mt 21,9), Matthieu prend soin de préciser, en lui appliquant un oracle du prophète Zacharie (Mt 21, 5), que Jésus ne l’est pas à la manière d’un roi puissant monté sur un cheval, l’animal fougueux des entreprises guerrières, mais comme un roi doux, monté sur un ânon, l’animal pacifique des travaux domestiques.
Par ailleurs, tout en reproduisant la formulation du psaume, la béatitude des doux n’en reprend pas la perspective de rétribution terrestre. Pour elle, la terre dont les doux doivent hériter n’est pas une terre matérielle et l’héritage ou l’entrée en possession de cette terre relève avant tout de l’espérance eschatologique. On constate en effet que dans les béatitudes environnantes, le second membre, également formulé au futur, renvoie à l’étape de l’accomplissement eschatologique et de la pleine communion à Dieu. Cela incline à comprendre « ils recevront la terre en héritage » dans le même sens que l’expression « recevoir le royaume en héritage », telle qu’on la trouve dans la « parabole du jugement dernier », à l’autre extrémité du premier évangile : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde. » (Mt 25,34) Cette terre que les doux recevront en héritage, elle doit encore s’identifier symboliquement à la vie éternelle promise aux disciples en Mt 19,29 : « Quiconque aura laissé maisons, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs, à cause de mon nom, recevra bien davantage et recevra en héritage la vie éternelle. »
Tout en en reprenant les mots du psaume, la béatitude des doux témoigne ainsi d’une perspective transformée. La terre n’est plus une réalité déjà accordée en héritage et dont la douceur doit assurer en quelque sorte la jouissance permanente. Entendue au sens symbolique et liée à l’horizon eschatologique, c’est à elle que donne accès la douceur. Proposée désormais comme un idéal de vie, la douceur est devenue l’une des conditions pour hériter du Royaume.
Dans ce cas comme dans tant d’autres, les vieilles outres ont fait place au vin nouveau.
Fr. Michel Gourgues, o.p.