Méditation pour le dimanche de Pentecôte
C’était après la mort de Jésus, le soir du premier jour de la semaine. Les disciples avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient, car ils avaient peur des Juifs. Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.
Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »
Ayant ainsi parlé, il répandit sur eux son souffle et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint.
Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. »
COMMENTAIRE
Il y a trois grandes fêtes Chrétiennes dans l’année : Noël, Pâques et Pentecôte. Ces trois grandes fêtes expriment chacune à leur manière la nouveauté chrétienne, la nouveauté de l’Evangile de Jésus. En quelques mots je caractériserai ainsi chacune d’elle : la fête de Noël est un peu la fête du Fils de Dieu qui s’abaisse et vient vivre avec les hommes, la fête de l’Emmanuel ; la fête de Pâques est celle de la victoire du Père qui relève le Fils d’entre les morts et le fait asseoir à sa droite ; la fête de Pentecôte est celle de l’Esprit et de l’Eglise : celui qui croit au Christ reçoit en lui la force de Dieu pour vivre en communion avec Dieu et avec ses frères. Mais, dans ces trois fêtes c’est le Père qui est à la source de toute l’œuvre de notre salut : le Père envoie le Fils ; le Père ressuscite Jésus d’entre les morts ; le Père répand l’Esprit-Saint sur les disciples de Jésus et fait surgir l’Eglise.
A l’époque de Jésus, la fête juive de Pentecôte était aussi une des trois grandes fêtes où les juifs religieux montaient à Jérusalem pour célébrer Dieu dans le Temple. Elle avait lieu 50 jours après la Pâque (Pentecôte est un mot grec qui veut dire « cinquantaine ») ou sept semaines après Pâque (fête des Semaines selon le mot hébreu shavouot). On venait de partout à Jérusalem et c’est dans ce cadre que St Luc, l’auteur des Actes des Apôtres, nous décrit le don de l’Esprit-Saint. Pour bien comprendre la perspective de Luc il convient de se souvenir de deux grands épisodes de l‘Ancien Testament.
Souvenons-nous d’abord de l’histoire de la tour de Babel dans le livre de la Genèse (Gn 11). Les hommes unissent leurs forces pour construire une tour qui montera au ciel. On voit encore de ces grandes tours (zigourat) en Irak. Devant cette folle prétention, Dieu décide de diviser les peuples en leur donnant des langages différents afin qu’ils ne puissent plus se comprendre et s’unir contre Lui. A la Pentecôte, des gens aux langues différentes sont rassemblés à Jérusalem. Et les apôtres reçoivent le don de l’Esprit-Saint sous la forme des langues de feu ; tous comprennent alors la proclamation évangélique, chacun dans sa propre langue. L’Esprit-Saint est donné pour être le ferment et l’agent de la communion entre les hommes. La diversité des langues n’est plus un obstacle pour la communion entre les peuples.
L’Eglise naît donc avec le don du Saint Esprit qui unit les croyants de toutes langues et nations d’une manière nouvelle. Il est répandu dans le cœur des croyants afin que la vie et l’amour de Dieu soient en eux ; comme dit Paul, nous formons un seul corps dans l’unique Esprit (cf. 1Co 12,12-13). Nous n’avons plus à monter au temple pour y adorer Dieu, c’est Dieu qui descend en chacun de nous pour faire un Temple vivant de sa Présence et un nouveau peuple. L’Eglise est ce peuple nouveau où la diversité ne fait plus obstacle à la communion ! Nous sommes cette Eglise de Dieu, ce Temple de l’Esprit. Quel que soit le lieu où se rassemble une communauté chrétienne, l’Esprit crée la communion avec tous les autres croyants du monde. Car l’Esprit-Saint fait surgir le jour de la Pentecôte une Eglise sans frontières.
St Luc fait référence à une autre histoire de l’Ancien Testament. Il s’agit de celle du grand prophète Elie ! (1R 17-19 et 2R 2). Sur le Mont Carmel, Elie fait descendre le feu du ciel pour consumer le sacrifice offert, alors que les faux prophètes n’arrivent pas à faire descendre ce feu sur leur sacrifice. Elie est le seul prophète de la Bible qui fait descendre le feu divin ! De plus Elie est, avec Hénoch (cf. Gn 5,24), l’un des deux seuls personnages qui sont emportés vivants au ciel. Elie est enlevé dans un char de feu, et il laisse à son successeur Elisée, avec son manteau, « une double part de son esprit ».
Pour Luc, Jésus est à comprendre comme un nouvel Elie, beaucoup plus grand que le plus grand des prophètes de l’Ancien Testament. Il n’est pas enlevé dans un char de feu, il s’élève lui-même vers le ciel quand il quitte ses disciples au mont des oliviers. Ce n’est pas un seul successeur (Élisée) qui reçoit son Esprit ; ce sont les apôtres reçoivent l’Esprit-Saint le jour de la Pentecôte et qui sont envoyés à tous les peuples pour proclamer « les merveilles de Dieu » afin que, par leur prédication, l’Esprit soit répandu sur tous les croyants ! Ainsi, Luc exprime la nouveauté du christianisme en utilisant le cadre d’une fête juive et des références à l’Ancien Testament : cela lui permet de bien montrer à la fois la continuité de la révélation de Dieu et sa grande nouveauté.
Ce don de l’Esprit-Saint, c’est l’héritage de Jésus. Avec ce Don de l’Esprit, Dieu n’est plus en dehors de nous – un Dieu lointain et différent – Il est au-dedans de nous (cf. Ga 4,6 ; Rm 5,5). La vie chrétienne est à comprendre comme une vie « spirituelle » : elle est, comme dit Paul, une vie guidée par l’Esprit, une vie sous l’action de l’Esprit (cf. Ga 5,25), une vie dans la liberté de l’Esprit qui fait de nous des êtres libres (cf. 3,17). L’Eglise est d’abord spirituelle, elle est l’œuvre de l’Esprit.
La perspective de Jean est différente de celle de Luc. Dans l’Evangile d’aujourd’hui, nous voyons que c’est Jésus lui-même qui souffle sur ses disciples et qui répand sur eux l’Esprit-Saint. Saint Jean souligne ainsi fortement le lien qui existe entre le Christ pascal et le don de l’Esprit. C’est Jésus en personne qui donne l’Esprit-Saint. Déjà, dans le récit que Jean fait de la mort de Jésus, nous lisons : « Ayant pris le vinaigre, Jésus dit : Tout est accompli ! Puis inclinant la tête, il donna l’Esprit ! » (Jn 19,30).
En donnant sa vie pour ceux qu’il aime, Jésus donne l’Esprit. En ex-pirant, son Souffle nous est donné. Du haut de la croix, Jésus répand l’Esprit-Saint sur l’Église (symbolisée par la présence de la Mère de Jésus et du disciple bien-aimé au pied de la croix). Probablement que Jean évoque ici le récit de la création de l’homme du livre de la Genèse où il est dit que, après avoir pétri l’homme de la poussière du sol, Dieu insuffla dans ses narines un souffle de vie ; et l’homme devint un être vivant (Gn 2,7). Dans l’évangile de Jean, le Christ « pascal », depuis la croix et après la résurrection, souffle sur les croyants son Souffle vivifiant qui fait de nous des vivants, des saints, des ressuscités. L’Église naît de ce Souffle qui donne la vie (cf. 1Co 15,45).
Que le Seigneur répande abondamment son Esprit-Saint en nous et sur nous. Comme nous l’avons entendu dans la deuxième lecture, sans l’Esprit-Saint personne ne peut dire que Jésus crucifié est le Seigneur ressuscité. C’est lui qui est notre force d’aimer, notre force d’espérer, notre force de vivre, notre dynamisme de construction d’un monde plus fraternel et plus juste. C’est lui qui nous convertit et nous sanctifie. Qu’il fasse de nous des artisans de paix et des témoins infatigables de sa présence et de l’Évangile. Qu’il fasse surgir une Église où souffle un vent de fraternité, de liberté et d’espérance.
Frère François-Dominique CHARLES, o.p.