L’Eucharistie n’est pas une potion magique
Après avoir nourri la foule avec cinq pains et deux poissons, Jésus disait : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. »
Les Juifs discutaient entre eux : « Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »
Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous.
Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson.
Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui.
De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera vivra par moi.
Tel est le pain qui descend du ciel : il n’est pas comme celui que vos pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
COMMENTAIRE
« L’Eucharistie n’est pas une potion magique » me disait un jour une étudiante de Douala. Elle se référait aux célèbres Gaulois qui trouvaient leur force dans la fameuse potion magique dans laquelle Obélix était tombé quand il était petit ! De cela, nous sommes, je l’espère, tous convaincus. Pourtant, sommes-nous bien sûrs qu’il ne reste pas en certains recoins de nous-mêmes des conceptions du mystère eucharistique quelque peu magiques ? Les textes de la liturgie de ce jour, en particulier le passage du chapitre 6 de l’évangile de Jean, nous conduisent à méditer sur le sens de ce grand sacrement.
La première lecture, tirée du Deutéronome, exprime l’affirmation biblique fondamentale que l’homme sans Dieu est voué à la mort. Nous avons faim et soif de Dieu : « Mon âme a soif du Dieu vivant… » dit le psaume 41. Le passage du Deutéronome nous rappelle que Dieu a conduit son peuple au désert afin qu’il y découvre que « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui sort de la bouche de Dieu ». Nous ne pouvons être chrétiens qu’en ouvrant les mains pour recevoir ce que Dieu nous donne. Comme le dit si bien le Psaume 103 (v. 27-28) : « Tous comptent sur toi pour recevoir leur nourriture au temps voulu. Tu donnes, ils ramassent ; tu ouvres la main, ils sont comblés. » Et Jésus lui-même nous a appris à prier en disant : « Père… donne nous notre pain de ce jour ! » Comme croyant, nous apprenons ainsi à tout recevoir comme un don de Dieu et à rendre grâce : « Tu es béni Seigneur, Dieu de l’univers, Toi qui nous donnes ce pain… » dit le prêtre au début de l’offertoire. L’attitude première de l’homme croyant est « eucharistique » : sa vie est action de grâce ! Être croyant c’est apprendre à ouvrir les mains et à « rendre grâce » dans toutes nos actions : avant de manger, avant de travailler, avant de se lever et de se coucher. La célébration de la messe n’est donc surtout pas à séparer du reste de la vie. Elle en est un temps fort.
Dans nos pays riches, les gens sont souvent malades de trop manger. Ils ont oublié que ce qui fait vivre véritablement, c’est l’abondance des dons de Dieu. L’homme des pays riches n’a plus ni faim ni soif de Dieu. La prédication de Jésus dans la synagogue de Capharnaüm fait suite à la multiplication des pains. Ceux qui sont là avaient faim de la parole de Jésus. Il vient de les nourrir avec du pain et des poissons. Et voici qu’il proclame : « Je suis le pain vivant ». Jésus veut nous rassasier surtout de sa propre vie ; il se donne lui-même pour nous faire vivre, pour que nous vivions par lui. En 28 versets, il y a rien moins que 14 emplois des mots « vie », « vivre », « vivant ». C’est dire combien saint Jean souligne la relation « vitale » qui existe entre le croyant et son Seigneur et qui s’exprime dans l’Eucharistie. Nombreuses sont les expressions répétées : « ma chair », « mon sang », « en moi », « par moi »… L’Eucharistie nous centre sur le Christ, voilà pourquoi Jésus dit : « Celui qui me mangera vivra par moi ».
Le langage de saint Jean souligne le réalisme de l’Incarnation et de la Passion, mystères dans lesquels le sacrement eucharistique puise tout son sens. Jésus invite à manger sa chair, à boire son sang. A plusieurs reprises, Jean emploie un verbe grec qui signifie « mâcher » : « celui qui me mâchera vivra par moi ». On comprend alors pourquoi l’Eucharistie a été instituée par Jésus au cours d’un repas : il rompt le pain et le donne à ses apôtres. Il en est de même à Emmaüs où Jésus rompt le pain alors que les deux disciples sont à table avec lui. L’Eucharistie est donc un repas où nous mangeons « le pain vivant descendu du ciel ». Si le Christ est le pain vivant, celui qui en mangera vivra éternellement (c’est-à-dire aura en lui la vie divine). Il n’y a donc rien de magique dans l’Eucharistie. C’est réellement que la vie éternelle de Dieu nous est communiquée par grâce. Communier nous divinise et nous sanctifie. Et l’homme pécheur peut s’approcher du Dieu Saint en mendiant avant tout son pardon et sa miséricorde : « Seigneur, je ne suis pas digne… ».
L’Eucharistie est le sacrement de l’union au Seigneur de la vie. Souvenons-nous des deux petits versets de la 1ère épître aux Corinthiens (2e lecture). En buvant le vin, nous communions au sang du Christ, en rompant le pain, nous communions au corps du Christ. Paul exprime ici le mystère de l’Église qui est essentiellement un mystère de communion. L’Eucharistie est un repas qui réalise entre tous ceux qui y participent une communion réelle et profonde. En recevant en nous la vie du même Seigneur qui est réellement présent dans le pain de vie partagé, nous ne sommes pas seulement en communion les uns avec les autres dans la communauté qui célèbre l’Eucharistie, mais aussi avec tous ceux qui communient au même Pain de Vie dans le monde entier : l’Eucharistie nous unit par delà l’espace car elle nous agrège au Corps du Christ, à l’Église tout entière. L’Eucharistie crée entre nous des liens invisibles très forts et nous constituons le corps du Christ.
Une formule classique en théologie dit que l’Église fait l’Eucharistie et que l’Eucharistie fait l’Église. C’est parce que nous croyons au Christ Seigneur que nous pouvons célébrer l’Eucharistie ! Mais en célébrant l’Eucharistie, des liens invisibles très forts nous unissent à la fois au Christ vivant et entre nous : c’est bien cela l’Église ! La célébration de l’Eucharistie édifie la communion entre tous les croyants comme nous le dit saint Paul dans la deuxième lecture : « la multitude que nous sommes est un seul corps car nous avons tous part à un seul pain. »
Dans les albums d’Astérix, la potion magique rend forts contre les Romains les héros gaulois qui en boivent. L’Eucharistie n’est certes pas une potion magique… Mais quand nous communions, c’est la vie même de Dieu qui vient en nous et qui renforce nos liens au Christ ressuscité et à nos frères et c’est ainsi que s’édifie l’Église. Par conséquent, si nous communions au corps du Christ dans l’Eucharistie, cela doit aussi renforcer nos liens avec nos frères. Nous ne pouvons pas accueillir en nous la « présence réelle » du Christ en communiant au pain eucharistique sans vivre également une réelle solidarité avec nos frères, surtout ceux qui souffrent.
En nous approchant pour communier, présentons-nous donc comme des pauvres ; tendons notre main grande ouverte pour recevoir le « pain vivant descendu du ciel » puis allons dans la paix du Christ et tournons-nous vers nos frères avec la force de son amour. En pratiquant quotidiennement le commandement de l’amour, nous comprendrons pourquoi « celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Frère François-Dominique CHARLES, o.p.