Karl RAHNER (1904-1984), est l’un des grands théologiens du XXe siècle. S’il est un théologien spéculatif, austère, s’exprimant dans un langage difficile, il est cependant un apôtre soucieux de transmission de la foi, passionné de pastorale pour aider les autres dans leur chemin vers Dieu. Voici quelques extraits de ses « écrits pieux », comme il les appelait.
Je ne suis pas un « savant ». Je voudrais être au milieu de tout ce travail, un homme, un chrétien et, dans la mesure du possible, un prêtre de l’Église. Sans doute un théologien ne peut-il pas vouloir davantage. En tout cas la science théologique comme telle m’est toujours restée indifférente. J’ai toujours fait de la théologie en vue de la prédication, en vue de la pastorale.
Mon Dieu, aide-moi à ne pas me contenter de croire être chrétien ; mais fais que, aussi longtemps tout au moins que je reste en devenir, je réussisse d’une façon quelconque à percer un petit trou pour échapper à la prison de ma vie, d’une existence qui est en quelque sorte cadenassée, et que je parvienne par là à découvrir un peu de la liberté de l’amour, de la fidélité de l’espérance, du détachement.
(Voici ce qu’il écrit, trois jours avant sa mort, dans un billet émouvant de remerciement adressé à tous ceux qui lui ont fêté ses 80 ans et qui constitue un testament spirituel spontané 🙂
Comment vais-je remercier, dans la situation où je suis, tant d’hommes (…) qui m’ont dit leurs vœux joints à l’expression d’une reconnaissance souvent surprenante pour ce que j’ai pu leur donner par mes écrits, souvent surpris moi-même et confus devant l’effet produit par les bégaiements et les abstractions d’un maître d’école parlant théologie ? Il ne me reste vraiment qu’une seule chose à faire : dire en quelques mots imprimés ma gratitude. Elle vient du cœur malgré tout et témoigne d’un fait qui advient toujours à nouveau, chaque fois surprenant et merveilleux : des hommes, non contents de pouvoir se prêter assistance dans les soins quotidiens d’ici-bas, peuvent encore, unis par des liens vivants, s’aider les uns les autres dans ce domaine où croît la grâce de Dieu, où mûrit ce fruit d’éternité qui restera pour toujours.
J’affirme avoir rencontré Dieu de façon immédiate. Je dis seulement ceci : j’ai fait l’expérience de Dieu, de Dieu innommable et insondable, de Dieu silencieux et pourtant proche, de Dieu qui se donne dans la Trinité. J’ai expérimenté Dieu au-delà de toute image et de toute représentation. J’ai expérimenté Dieu qui ne peut d’aucune façon être confondu avec quoi que ce soit d’autre quand il se fait proche ainsi lui-même dans sa grâce. J’ai réellement rencontré Dieu, Dieu vivant et vrai, celui qui mérite le nom qui efface tous les noms. Je dirai plus tard pourquoi une telle expérience de Dieu ne supprime ni le rapport avec Jésus ni le lien avec l’Église qui en découle.
Mais avant toute chose ceci : j’ai rencontré Dieu et je l’ai expérimenté lui-même. Et, croyez-le bien, j’étais capable alors de distinguer entre Dieu lui-même et les mots, images ou expériences particulières et limitées qui de quelque manière permettent d’évoquer et de désigner Dieu. A partir de Manrèse j’ai expérimenté avec une force et une netteté de plus en plus grande la pure incompréhensibilité de Dieu. Dieu lui-même. J’ai expérimenté Dieu lui-même. Non pas des paroles humaines sur lui. Mais lui et la liberté tout originelle qui lui est propre.
Pour moi, dans ma théologie, il est d’une importance fondamentale que soit donnée une expérience authentique, originelle de Dieu et de son Esprit. Elle procède logiquement (pas nécessairement dans le temps) la réflexion et la verbalisation théologique, et n’est jamais rejointe adéquatement par cette réflexion.
Pour moi, depuis ma conversion, Jésus c’était l’inclination ou le penchant de Dieu allant purement et simplement vers le monde et vers moi ; l’inclination dans laquelle est présente tout entière l’incompréhensibilité du pur mystère et dans laquelle l’homme accède à sa propre plénitude. C’est ce Jésus qui était au cœur de ma pensée, c’est ce Jésus que j’aimais, ce Jésus que je cherchais à imiter. Tout cela était pour moi la façon de faire où je trouvais Dieu concrètement, sans le réduire en un fantôme de ma seule spéculation qui n’engage à rien. Car on en peut dépasser une telle spéculation qu’en mourant, à travers la vie, la mort véritable. Et on ne meurt d’une mort authentique qu’en acceptant résolument avec Jésus l’abandon de Dieu inscrit en elle et qui est l’ultime mystique au-delà de tout mode.
Quoiqu’il en soit, j’ai choisi de vivre à la suite de Jésus pauvre et humble. De Jésus pauvre et humble, non d’un autre. Un tel choix ne se déduit de rien, il a sa raison en lui-même, la raison de l’amour concret ; il est sa vocation qui porte en elle sa justification.
Mon désir le plus ardent est de vivre et de mourir en tant que catholique fidèle. Je resterai toujours au sein de mon Église qui est ma famille. La question de mon départ ne s’est jamais posée. Il m’est tout de même permis de me fâcher parfois face à certaines lenteurs et réticences de mon Église quant aux ouvertures théologiques. En fait, on devrait pouvoir toujours régler sereinement au sein de l’Église les différends qui sont inévitables. Je conviens que je provoque, mais je pense que c’est ma mission de théologien soucieux du respect de l’homme dans son intégralité.