Il faut faire la volonté de mon Père !
Comme les disciples s’étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait : « Il ne suffit pas de me dire : ‘Seigneur, Seigneur !’, pour entrer dans le Royaume des cieux ; mais il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux.
Ce jour-là, beaucoup me diront : ‘Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons été prophètes, en ton nom que nous avons chassé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ? ‘
Alors je leur déclarerai : ‘Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui faites le mal ! ‘
Tout homme qui écoute ce que je vous dis là et le met en pratique est comparable à un homme prévoyant qui a bâti sa maison sur le roc.
La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, la tempête a soufflé et s’est abattue sur cette maison ; la maison ne s’est pas écroulée, car elle était fondée sur le roc.
Et tout homme qui écoute ce que je vous dis là sans le mettre en pratique est comparable à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable.
La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, la tempête a soufflé, elle a secoué cette maison ; la maison s’est écroulée, et son écroulement a été complet. »
« Il ne suffit pas de me dire : ‘Seigneur, Seigneur !’… il faut faire la volonté de mon Père ». Voilà une parole de Jésus qui vient nous déranger et nous rappeler une caractéristique de notre religion chrétienne ! Pour être chrétien, il faut bien sûr et avant tout « confesser que Jésus est Seigneur » et croire du fond du cœur que « Dieu l’a ressuscité des morts » (Rm 10,9) ; Paul nous le rappelle dans la 2e lecture : « l’homme devient juste par la foi, indépendamment des actes prescrits par la Loi de Moïse ». Oui, Dieu nous adopte et fait de nous ses enfants quand nous croyons de tout notre cœur en Jésus et que nous confessons qu’il est « Seigneur », c’est-à-dire qu’il est Dieu et qu’il a été victorieux de la mort (cf. 1Co 12,3 ; Ph 2,11). Mais le chemin du chrétien en ce monde n’est pas seulement de croire dans son cœur : cette foi doit le transformer et bouleverser sa manière de vivre. C’est cela que Jésus nous fait comprendre aujourd’hui : ce n’est pas suffisant de m’appeler ‘Seigneur’, il faut « faire » ou « mettre en pratique » la « volonté de mon Père ».
Nous sommes ici à la fin du grand enseignement de Jésus dans l’évangile de saint Matthieu. Le « Sermon sur la Montagne » a commencé par les Béatitudes où nous avons appris que Dieu prend soin de tous ceux qui s’en remettent avec confiance en lui. Puis, Jésus nous a enseigné à dépasser la justice de la Loi de Moïse : non seulement à ne pas tuer, mais à ne pas dire de mal de nos proches ; non seulement ne pas commettre d’adultère, mais à faire attention aux pensées troubles qui sont dans nos cœurs et à notre manière de regarder les autres ; non seulement aimer notre prochain mais également nos ennemis… Jésus nous a aussi enseigné à tout faire sous le regard du Père, dans le secret : l’aumône, la prière, le jeûne ; la religion de Jésus est de l’ordre d’une relation à Dieu vécue au-dedans, là où le Père seul peut voir ; il n’y a pas de place pour l’hypocrisie. Ce qui se voit au dehors doit correspondre à ce que le croyant vit au-dedans de lui-même : c’est ainsi qu’il devient vraiment « sel de la terre » et « lumière du monde ». Tous ces enseignements sont, pour saint Matthieu, les commentaires que Jésus fait de la Loi de Moïse. Quand Jésus dit « on vous a dit… », il faut bien sûr comprendre « Moïse vous a dit… » ; à la suite de quoi Jésus donne sa propre interprétation : « eh bien, moi je vous dis… » D’ailleurs, Jésus dit qu’il n’est pas venu pour abolir la Loi de Moïse donnée par Dieu sur le Sinaï mais qu’il est venu l’accomplir et nous montrer comment la vivre pour devenir « parfaits comme notre Père est parfait ». Jésus renouvelle ainsi la compréhension de la Torah (la Loi de Moïse) dans ce grand sermon inaugural sur « la montagne » qui rappelle d’ailleurs l’antique montagne du Sinaï : Jésus a pris la place de Moïse !
La finale de ces 3 chapitres d’enseignements, au cours desquels Jésus est le seul à parler depuis Mt 5,3 jusqu’à 7,27 est un grand avertissement à tous ceux qui l’ont écouté (7,13-27) ! Jésus rappelle qu’il ne suffit pas d’écouter tous les enseignements qu’il a faits, il faut surtout les vivre et les mettre en pratique. La voie chrétienne que nous propose Jésus est une « manière de vivre » et non un « contenu à croire ». En cela, la foi chrétienne ressemble à la foi juive. La manière juive d’être fidèle à l’alliance de Dieu avec son peuple est de « mettre en pratique » la Torah, c’est-à-dire de « marcher avec Dieu ». La vie juive est une « halakhah », mot hébreu qui signifie « marche ». Nous ne pouvons donc nous prétendre disciple de Jésus que si nous pratiquons vraiment l’enseignement du Sermon sur la montagne. Or ce sermon est la manière de pratiquer la Loi donnée par Dieu à Moïse selon l’interprétation nouvelle et beaucoup plus exigeante qu’en donne Jésus, le nouveau Moïse. Voilà ce que veut dire la phrase de Jésus que nous trouvons dans l’évangile d’aujourd’hui : « il faut faire la volonté de mon Père qui est aux cieux. »
Pour nous qui sommes des disciples de Jésus, « faire la volonté du Père » consiste donc à vivre au quotidien cet enseignement de Jésus que Paul résume ainsi : « La Loi tout entière trouve son accomplissement dans cette unique parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Ga 5,14). Tout l’enseignement de Jésus dans le sermon sur la montagne consiste à nous apprendre comment plaire au Père en pratiquant le commandement de l’amour et en aimant nos frères. Même si cela est difficile, c’est absolument nécessaire pour « entrer dans le Royaume » dont, autrement, la porte sera pour nous bien étroite (Mt 7,13).
Il n’est pas étonnant de lire dans la parabole du jugement dernier qui termine le dernier des cinq discours de Jésus dans l’évangile de Matthieu, et donc tout son enseignement magistral : « Tout ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ! » (Mt 25,40). Construire sa vie sur le roc du Christ consiste donc à tout fonder sur ce commandement de l’amour. En effet, nous ne serons pas jugés sur notre confession de foi mais sur la mise en pratique de ce commandement qui résume toute la Loi de Dieu et c’est pourquoi Jésus nous demande si solennellement de le mettre en pratique : telle est la volonté du Père ! Dans le cas contraire, comme cela apparaît également dans la parabole du jugement dernier, nous aurons à entendre ces paroles redoutables : « Je ne vous ai jamais connus, écartez-vous de moi, vous qui faites le mal ! » Nous comprenons peut-être mieux maintenant pourquoi saint Paul écrit : « ces trois-là demeurent : la foi, l’espérance et l’amour, mais l’amour est le plus grand ! » (1Co 13,13). L’amour est plus grand que la foi !
Saint Jean de la Croix a pu écrire au 16e siècle : « A la tarde te examinaran en el amor. Aprende a amar como Dios quiere ser amado… » On peut traduire ainsi : « Au soir (de notre vie), c’est sur l’amour que nous serons examinés. Apprends à aimer comme Dieu veut être aimé… » On peut sans aucun doute expliciter : tu aimeras Dieu comme il veut être aimé en aimant tous ceux qu’il aime comme un Père… C’est ainsi que tu seras parfait à ses yeux !