Vous êtes la lumière du monde : Que votre lumière brille devant les hommes !
Comme les disciples s’étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait : « Vous êtes le sel de la terre. Si le sel se dénature, comment redeviendra-t-il du sel ? Il n’est plus bon à rien : on le jette dehors et les gens le piétinent.
Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée.
Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors en voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux.
COMMENTAIRE
Il y a plusieurs années, je suis allé dans un village très isolé au centre du Cameroun pour y célébrer Noël. Après la messe, la fête a continué par des chants et des danses jusque tard dans la nuit. À l’aurore, on vient m’apprendre qu’une jeune femme, récemment mariée, enceinte de 6 mois, est décédée pendant la nuit d’une grave crise de paludisme… La nuit m’a semblé soudain étouffer l’aurore. Avec un membre de la communauté catholique du village, je suis allé rendre visite à la famille et au jeune mari de 17 ans. La famille rassemblée chantait au rythme des tamtams : « Alléluia, le Seigneur est ressuscité… » La nuit a soudain comme reculé pour refaire place à l’aurore. « Ta lumière jaillira comme l’aurore… la gloire du Seigneur t’accompagnera » (Isaïe 58 : 1ère lecture).
Il y a également quelques années, je rendais visite au Rwanda, à une communauté de sœurs dominicaines. Elles m’ont fait visiter leur hôpital. Dans une salle où il n’y avait qu’un seul lit, un visage attira mon attention ; il émergeait des couvertures situées au-dessus du lit… La fillette, en nous regardant, se mit à sourire… Je n’oublierai jamais ce merveilleux sourire sur ce visage lumineux. La sœur souleva la couverture… Le corps de la fillette était brûlé profondément sur une large surface, de l’abdomen jusqu’aux jambes. Je suis sûr que ce sourire d’enfant blessé vous serait à vous aussi rentré dans le cœur comme l’aurore s’infiltre dans la nuit. « Ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera comme la lumière de midi… » (1ère lecture).
Il y a des rencontres qui illuminent la nuit trop épaisse de notre monde. Car « la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres n’ont pas pu la saisir… » (Jn 1,5). Il suffit d’ouvrir nos yeux, d’être attentif aux autres pour découvrir cette divine lumière sur le visage de nos proches. Oui, « Le Verbe est la véritable lumière qui éclaire tout homme » (Jn 1,9) mais il a pris chair pour que cette lumière illumine nos visages humains. Cette lumière du Christ n’est pas comme le soleil ou les lampes de nos maisons. La lumière dont nous avons tellement besoin est cachée dans le mystère des êtres, dans le cœur de nos proches. Mais trop souvent, nous ne la percevons pas car nos yeux, comme ceux des apôtres sur la montagne de la transfiguration, sont fermés ou endormis. Et nous passons à côté des plus extraordinaires aurores. « Partage avec celui qui a faim, accueille celui qui est sans abri, couvre celui qui est sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable… alors ta lumière jaillira comme l’aurore… et la gloire du Seigneur t’accompagnera. » (1ère lecture).
Si nous sommes un peu attentifs, nous verrons cette lumière briller surtout dans les êtres les plus fragiles et les plus menacés. Ce sont eux qui éclairent la nuit du monde. Depuis la révélation de la Croix glorieuse du Christ, nous savons que, dans les plus blessés, la lumière divine s’infiltre le mieux. La lumière cachée s’échappe du cœur blessé et illumine ceux qui sont à proximité. La lumière habite en chacun de nous, cachée dans le secret de nos êtres : c’est la lumière divine qui est venue dans le monde. C’est cette lumière qui réveille en nous l’espérance « contre toute espérance » (Rm 4,18), qui nous fait tenir dans la foi contre toute évidence, qui nous appelle à aimer même nos ennemis. Cette lumière en nous, c’est l’Esprit Saint. Elle est le trésor caché dans nos vases fragiles, remplis de la grâce divine (2Co 4,7).
Cette lumière nous est donnée pour éclairer notre propre route : « Qui marche à ma suite n’est pas dans la nuit, il a en lui la lumière de la vie » (Jn 8,12). Mais elle nous est aussi donnée pour éclairer la route de nos proches qui sont dans d’épaisses ténèbres. Si l’un ou l’autre d’entre nous est aujourd’hui dans la nuit, qu’il ait la joie de voir jaillir cette lumière chez ceux qui l’entourent : « Vous êtes la lumière du monde… » Cette lumière ne brille pas seulement pour vous ! « Elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. » Alors, « Que votre lumière brille devant les hommes… » La lumière du Christ nous est donnée pour éclairer tous ceux qui nous entourent et non pour rester jalousement et égoïstement cachée dans le fond du cœur.
Il y a une bonne dizaine d’années, j’accompagnais deux frères au Centre Hospitalier de Kigali. Je restais silencieux devant tous ces visages rencontrés et discrètement en retrait car je ne parlais pas un mot de Kinyarwanda, la langue nationale du Rwanda. Un des frères me dit : « va voir ce monsieur, il parle le Français. » Alors je m’approche… Il me raconte qu’il a perdu toute sa famille en 1994 et qu’il reste seul : « Personne ne vient me voir et ne s’occupe de moi… » Il tenait ma main. Alors je lui dis : « Cela ne doit pas être facile d’être seul ! » Il répondit avec un lumineux et inoubliable sourire : « Oh, je ne suis pas seul ! Je suis avec mon Seigneur ! »
Nous ne devons jamais oublier que nous avons en nous une lumière qui ne demande qu’à jaillir comme une aurore. Si nous l’accueillons en devenant croyant et en faisant toute confiance au Seigneur, elle sera capable d’éclairer les nuits que nous aurons à traverser. Mais le miracle plus grand encore, c’est que cette lumière que nous avons accueillie nous rend capable de la communiquer autour de nous ! Ne la gardons donc pas pour nous seuls ! Elle peut même éclairer, sans que nous nous en rendions compte, ceux qui peinent et souffrent autour de nous ! Redoublons d’attention aux autres : la lumière de Dieu, par eux, nous fera de petits clins d’œil et, par nous, elle les atteindra et les éclairera. Nous sommes les uns pour les autres des lampes où brûle la lumière de la Gloire divine. Voilà pourquoi Jésus nous dit aujourd’hui : « Vous êtes la lumière du monde ! » mais il ajoute aussi : « Que votre lumière brille devant les hommes… Ils rendront gloire à votre Père qui est dans les cieux. »
Frère François-Dominique CHARLES, o.p.