Philosophe et religieuse allemande d’origine juive. Elle se convertit au catholicisme en 1922. Elle entre au carmel de Cologne (1933) puis doit fuir au carmel de Echt (Pays-Bas) en 1938. Elle est arrêtée par les nazis en 1942, déportée au camp d’Auschwitz-Birkenau où elle meure gazée. Béatifiée en 1987, canonisée en 1998, elle est proclamée co-patronne de l’Europe en 1999.
Voies de salut
Comment dire encore: Que ta volonté soit faite, si nous ne sommes plus certains de ce que Dieu exige de nous ? Avons-nous encore les moyens de nous garder sur ses chemins si la lumière intérieure s’éteint? Ces moyens existent, et ils sont si puissants que le risque – en principe possible – de s’égarer devient en fait infiniment improbable.
Dieu est venu pour nous sauver, pour nous relier à lui, pour conformer notre volonté à la sienne. Il connaît notre nature. Il la prend en compte et nous a donc donné tout ce qui peut nous aider à parvenir au but. L’Enfant divin est devenu le Maître, et il nous a dit ce que nous devons faire.
Pour pénétrer de vie divine toute une vie d’homme, il ne suffit pas de s’agenouiller une fois l’an devant la crèche, en se laissant captiver par le charme de la Nuit sainte. Pour y parvenir, il faut, tout au long de sa vie, être chaque jour en relation avec Dieu, écouter les paroles qu’il a prononcées et qui nous ont été transmises, et obéir à ces paroles. Il faut avant tout prier, comme le Seigneur lui-même nous l’a appris, et comme il l’a tant de fois répété : Demandez et vous recevrez. C’est la plus sûre promesse de l’exaucement. Et quiconque dit tous les jours du fond du cœur : «Seigneur, que ta volonté soit faite», peut être sûr de ne pas se méprendre sur la volonté de Dieu, même lorsqu’il n’en a plus la certitude subjective.
Le Christ ne nous a pas laissés orphelins. Il nous a envoyé son Esprit qui nous a enseigné toute vérité ; il a fondé son Église, que son Esprit dirige, et il y a placé ses vicaires par la bouche desquels son Esprit nous parle en langage d’hommes. En elle, il a rassemblé les croyants en une communauté, voulant que chacun se porte garant de l’autre. Ainsi ne sommes-nous pas seuls ; et celui qui viendrait à perdre confiance en son propre discernement et même en sa prière, trouverait de l’aide dans la force de l’obéissance et dans la puissance de l’intercession. Et le Verbe s’est fait chair. Ce mystère est devenu vérité dans l’étable de Bethléem. Mais il s’est encore réalisé sous une autre forme. Celui qui mange ma chair et boit mon sang aura la vie éternelle. Le Seigneur, qui sait que nous sommes des hommes et restons aux prises, jour après jour, avec nos faiblesses, vient au secours de notre humanité d’une manière véritablement divine. De même que le corps matériel a besoin de pain quotidien, de même la vie divine en nous demande continuellement une nourriture. Ceci est le pain de vie qui est descendu du ciel, celui qui en fait véritablement son pain quotidien voit se renouveler en lui chaque jour le mystère de Noël, l’Incarnation du Verbe. C’est là certainement le chemin le plus sûr pour conserver l’union à Dieu et pour s’enraciner chaque jour plus solidement et plus profondément dans le Corps mystique du Christ.
Je sais bien que cela apparaîtra à beaucoup comme une voie trop radicale. Cela signifie, pour la plupart de ceux qui commencent à s’y engager, un bouleversement de toute leur vie, extérieure et intérieure. Mais c’est précisément ce qu’il faut ! Nous devons créer dans notre vie un espace pour le Sauveur eucharistique afin qu’il puisse convertir notre vie en sa vie. Est-ce trop demander ? On a le temps pour tant de choses inutiles : la lecture de livres futiles, de magazines, les heures passées dans les cafés ou à bavarder au coin d’une rue – gaspillant en distractions son temps et ses forces. Ne serait-il vraiment pas possible de trouver une heure, le matin, où l’on se rassemble au lieu de se disperser, où l’on puise des forces au lieu de les dissiper, pour faire face aux tâches journalières ?
Certes, il faut plus que cette heure. Il faut que de cette heure à la suivante nous vivions de manière à pouvoir y revenir. Il n’est plus permis de se relâcher, ne fût-ce qu’un moment. Quand on rencontre les mêmes personnes chaque jour, même sans qu’un mot soit prononcé, on sent le regard et le jugement qu’elles portent sur nous ; on s’efforce de s’adapter à son entourage et si l’on n’y parvient pas, la vie commune tourne au supplice.
C’est précisément ce qui se passe dans nos rapports quotidiens avec le Seigneur. On devient de plus en plus sensible à ce qui lui plaît et à ce qui lui déplaît. Si, par le passé, on était assez satisfait de soi, tout va changer. On commence à se découvrir bien des laideurs qu’on s’efforcera de corriger, et des imperfections dont on aura peine à se défaire. On se fait progressivement petit et humble, on devient patient et indulgent pour la paille dans l’œil de l’autre, tout occupé que l’on est d’une poutre dans le sien. Finalement on apprend à se supporter dans la lumière implacable de la Présence divine et à s’abandonner à sa miséricorde qui peut venir à bout de tout ce qui excède nos forces. Il y a loin de l’autosatisfaction du «bon catholique», qui fait son devoir, qui lit la bonne presse, qui vote bien, etc. mais qui, pour le reste, fait ce qui lui plaît — à une vie conduite par la main de Dieu et reçue de sa main, dans la simplicité de l’enfant et l’humilité du publicain. Pourtant quiconque s’est engagé sur cette route ne reviendra plus sur ses pas.
Ainsi, être enfant de Dieu signifie à la fois diminuer et croître. Vivre de l’eucharistie signifie sortir insensiblement de l’étroitesse de sa propre vie pour naître à l’immensité de la vie du Christ. Celui qui recherche le Seigneur dans sa Maison ne voudra plus l’entretenir uniquement de lui-même et de ses affaires. Il commencera à s’intéresser aux affaires du Seigneur. La participation au Sacrifice quotidien nous entraîne naturellement dans la vie de la liturgie. Tout au long du cycle de l’année liturgique, les prières et les rites de la Messe font repasser devant notre âme l’histoire du Salut, et nous permettent d’en pénétrer le sens toujours plus profondément. Le Saint Sacrifice renouvelle en nous le mystère central de notre foi, le pivot de l’histoire du monde : le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption. Qui pourrait assister au Saint Sacrifice de la messe, le cœur et l’esprit ouverts, sans être pris par l’esprit de sacrifice et par le désir de se fondre, lui et sa pauvre vie personnelle, dans le grand œuvre du Rédempteur ? Les mystères du christianisme forment un tout indivisible. Si l’on se plonge dans l’un, on est conduit à tous les autres. C’est ainsi que le chemin qui commence à Bethléem mène immanquablement au Golgotha, de la crèche à la croix. Lorsque la Vierge Marie présenta l’Enfant au Temple, il lui fut annoncé qu’un glaive lui transpercerait l’âme et que cet enfant, donné pour la chute et la résurrection de beaucoup, serait un signe de contradiction. C’est l’annonce des douleurs, de la lutte entre la lumière et les ténèbres, dont la crèche est déjà marquée.
Certaines années, il arrive que la Chandeleur et la Septuagésime, la fête de l’Incarnation et la préparation à la Passion, tombent presque le même jour. Dans la nuit du péché, c’est l’étoile de Bethléem qui luit ; c’est l’ombre de la Croix qui tombe sur la clarté de la crèche. La lumière s’éteint dans l’obscurité du Vendredi Saint, mais remonte plus éclatante, soleil de grâce, au matin de la Résurrection. C’est à travers les souffrances et la croix que le Fils de l’Homme fut élevé à la gloire de la Résurrection ; traverser la souffrance et la mort, avec le Fils de l’Homme, pour atteindre la gloire de la Résurrection, c’est le chemin ouvert à chacun de nous, à l’humanité tout entière.