Le Psaume 19 est constitué de deux parties si différentes qu’elles ont souvent été considérées comme deux poèmes indépendants. Nous discuterons ce problème de l’unité littéraire lorsque nous présenterons la seconde partie du psaume (Ps 19B) le mois prochain. Pour le moment, nous n’examinerons que la première partie, le Ps 19A.
Psaume 19A : La gloire de Dieu dans l’univers
1 Du maître de chant. Psaume. De David.
2 Les cieux proclament la gloire de Dieu,
le firmament raconte l’ouvrage de ses mains.
3 Le jour au jour en livre le récit
et la nuit à la nuit en donne connaissance.
4 Pas de paroles dans ce récit,
pas de voix qui s’entende;
5 mais sur toute la terre en paraît le message
et la nouvelle, aux limites du monde.
Là se trouve la demeure du soleil :
6 tel un époux, il paraît hors de sa tente,
il s’élance en conquérant joyeux.
7 Il paraît où commence le ciel,
il s’en va jusqu’où le ciel s’achève :
rien n’échappe à son ardeur.
Le psaume appartient au genre littéraire de l’hymne, célébrant YHWH créateur du ciel, spécialement du soleil. On le divise habituellement en deux parties : le chant des cieux (v. 2-4) et le chant du soleil (v. 5-7). La première partie est unifiée par des termes relatifs au langage : v. 2a « proclament »; v. 2b « raconte »; v. 3a « livre le récit »; v. 3b « donne connaissance »; v. 4a « paroles » et « récit »; v. 4b « voix »; aussi v. 5a « message »; v. 5b « nouvelle ». La seconde partie (v. 5-7) est unifiée par le couple « sortir / limite, extrémité, bout », suggérant le mouvement et l’influence des astres. Le Ps 19A invite donc à déchiffrer le mystérieux discours théologique que tiennent les astres entre eux (v. 2-4) et dans leur activité cosmique (v. 5-7).
Le texte ne comporte pas de difficulté majeure. Au v. 4, l’hébreu porte bien « pas de voix qui s’entende », mais les versions anciennes semblent ne pas avoir compris ce « silence parlant » des astres et ont traduit en ajoutant la négation « pas de voix qui ne s’entende pas ». L’hébreu fait référence aux voix astrales qui ne peuvent pas être comprises par des oreilles humaines alors que les versions parlent de ces voix qui ne peuvent pas ne pas être comprises… Pour l’hébreu, donc, même le silence des cieux est une voix éclatante. Le v. 5a porte « leur corde(au) » que l’on traduit par « leur harmonie » (TOB), « leur sommation » (Chouraqui), « leur corde (vocale) » (versions anciennes). Il s’agirait donc d’une autre expression de la parole. La fin du v. 5c comporte « en eux », c’est-à-dire soit « dans les cieux », soit « dans les limites du monde », que la Septante grecque a traduit « dans le soleil il a établi sa tente ». Certains proposent de lire ici un autre mot très semblable en hébreu « dans la mer » suggéré par la cosmologie antique dont nous reparlerons.
Pour l’auteur du poème, l’émerveillement devant l’immensité du ciel devient une expérience de Dieu. C’est la totalité du monde astral, désigné par les pôles « jour » et « nuit », qui exprime la totalité du « milieu divin ». Non seulement tout le créé est au service de Dieu et chante sa louange, mais il en est une révélation. Le psalmiste fait des éléments naturels des personnages, voire des chantres ou des théologiens. Pour lui, le ciel, le firmament, le jour et la nuit, sont des témoins ayant reçu le don de la parole dont les mots témoignent de la majesté divine. Les cieux donnent à leur créateur un double témoignage qui se succède sans fin : un témoignage d’éclatante splendeur durant le jour et un témoignage de mystérieuse grandeur durant la nuit. C’est un solennel kérygme à deux partitions ou à deux chœurs. L’auteur présente ces chœurs au moment où l’un se retire pour laisser la place à l’autre. Celui qui se retire pourrait inviter son remplaçant à bien s’acquitter de son chant de louange, mais c’est plutôt chaque chœur qui s’encourage à reprendre sa partition avec une ferveur nouvelle à l’heure de son entrée en fonction.
Quoique inaudible (v. 4b), la voix de la révélation de Dieu dans la nature se fait entendre et comprendre par tous. Les cieux sont le livre par lequel tous peuvent arriver à la connaissance de Dieu. C’est là plus qu’un vague sentiment de la présence de « quelque chose » mais une expérience profonde et révélatrice de « quelqu’un ». Quiconque contemple la nature y voit plus qu’une série de lois mais un langage silencieux parlé par le Dieu personnel. Ce Dieu ne se découvre pas à la suite d’un effort de réflexion ni d’une méditation abstraite; il s’impose avec l’irréfutabilité de l’expérience. C’est par les cieux que Dieu attire à lui l’attention de l’homme et le provoque à le chercher et à le connaître.
Les ressemblances avec les littératures des peuples voisins ont depuis toujours été notées. Les Mésopotamiens pensaient que les constellations, telle une main invisible du dieu créateur, traçaient dans le ciel une écriture mystérieuse dont les caractères correspondaient au mouvement des étoiles. La littérature ougaritique célébrait en Shamash, le dieu soleil, un héros et un époux qui s’était bâti une demeure et entrait dans le pavillon nuptial où l’attendait sa parèdre, la déesse Anath. Un mythe cananéen parlait de la tente sacrée où le soleil passait la nuit; à l’aube il en sortait victorieusement pour recommencer sa course. Pour les Anciens, en effet, le soleil et les astres étaient suspendus au firmament – voûte solide séparant les eaux d’en haut des eaux d’en bas – et tournaient autour d’une terre immobile et plate. Le problème était que le soleil se couchant à l’ouest et se levant à l’est devait forcément passer sous terre durant la nuit. Durant ce périple dangereux, les divinités infernales tentaient de l’arrêter pour l’empêcher de se lever et de donner ses bienfaits. La comparaison du soleil avec un époux qui s’avance, éclatant de jeunesse et de beauté, est basée sur une autre croyance ancienne selon laquelle le soleil rentrait le soir dans sa tente nuptiale et dormait toute la nuit dans les bras de son épouse bien-aimée, la mer. C’est pourquoi, comme nous disions, certains spécialistes corrigent le texte hébreu au v. 4c et lisent « dans la mer ». Le soleil est vu aussi comme un guerrier redoutable dont les rayons brûlants sont des flèches qu’il décoche sur ses ennemis. C’est ainsi que les Babyloniens se représentaient Shamash, sous les traits d’un héros infatigable sans cesse à la poursuite des ténèbres. Les mythes anciens considéraient aussi le soleil comme un athlète invulnérable. Chaque matin, dès son lever, il entreprenait la course cosmique qui le menait d’une extrémité du monde à l’autre. Les sages orientaux passaient facilement du monde physique au monde moral et représentaient le soleil comme seigneur de justice et défenseur des faibles. (cf. Sg 5,6; Ml 3,20; Lc 1,78). Toutefois, on ne trouve dans le Ps 19A aucune trace ni d’un panthéisme qui identifierait Dieu avec les astres, ni d’un dualisme qui ferait du soleil le concurrent coéternel de Dieu. Les termes d’emprunt n’ont plus de signification que métaphorique. Tout concourt à souligner la transcendance absolue de Dieu sur les œuvres les plus merveilleuses de sa création.
Aux v. 6-7, comme dans les mythes anciens, le soleil est présenté comme un époux (v. 6a), un guerrier (v. 6b) et un athlète (v. 7). Bien qu’il ne s’agisse ici que d’allégories (« comme / tel » v. 6a) le psaume fait justice aux intuitions profondes des mythes. Le soleil a sa demeure nocturne dans les cieux où il est caché comme dans une tente de nomade. C’est de là qu’il surgit chaque matin, brisant les « portes » ou les « verrous » dont parlaient les hymnes anciens. Les deux images de l’époux et de l’athlète caractérisent ici la vigueur rayonnante et la jeunesse ardente du jeune marié ainsi que la souplesse et la fougue de l’athlète. Comme eux, le soleil se lance chaque matin plus beau et plus vigoureux à la conquête du monde engourdi par les ténèbres et le froid.
La fin du v. 7 (« rien n’échappe à son ardeur / sa chaleur ») peut surprendre car on aurait pu attendre « rien n’échappe à sa lumière / ses rayons ». Mais si on peut échapper aux rayons du soleil en se mettant à l’ombre, nulle part échappe-t-on à l’action réchauffante du soleil, surtout en Israël! Les anciens avaient bien remarqué aussi l’influence du soleil sur la croissance des plantes et l’activité animale, ainsi que sur le métabolisme des humains, pour ne rien dire de leur humeur… Les scientifiques modernes ont confirmé cette intuition avec l’apport essentiel du soleil en vitamine D! Rien n’échappe donc à l’action du soleil.
Il y a plusieurs textes bibliques parlant de la manifestation de Dieu dans la nature, surtout Sg 13,1-9; Mt 5,45; Ac 14,17; Rm 1,18-32. Dans le Nouveau Testament, le v. 5 est appliqué à la prédication des apôtres en Rm 10,18. Dans la liturgie de Noël, le psaume 19A est appliqué au Verbe de Dieu sortant de sa tente et s’apprêtant à courir sa carrière. Une bonne compréhension du Ps 19A n’a donc rien qui puisse encourager les amateurs d’astrologie de notre époque! Elle invite plutôt à entrer en relation avec Dieu.
Fr. Hervé Tremblay o.p.
Collège universitaire dominicain
Ottawa