Seigneur, prends pitié
Jésus dit une parabole pour certains hommes qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient tous les autres : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain.
Le pharisien se tenait là et priait en lui-même : ‘Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes : voleurs, injustes, adultères, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne.’
Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : ‘Mon Dieu, prends pitié du pécheur que je suis !’ Quand ce dernier rentra chez lui, c’est lui, je vous le déclare, qui était devenu juste, et non pas l’autre.
Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »
COMMENTAIRE
Comme dimanche dernier, nous nous retrouvons avec une parabole sur la prière qui met en scène deux personnages bien campés. Aujourd’hui, au lieu d’un juge et d’une veuve, nous avons deux figures bien connus dans le monde juif du temps de Jésus : un pharisien et un publicain. Le pharisien est membre d’un mouvement religieux fervent et pieux, soucieux d’une pratique fidèle et exacte; il est respecté dans l’opinion publique. Le publicain est un collecteur d’impôts travaillant pour l’occupant romain; il est mal considéré car il a la réputation de ne pas respecter la loi, d’être malhonnête, en plus de collaborer avec les païens. Mais voilà que dans la parabole de Jésus, un renversement advient : la prière du pharisien n’est pas à imiter et celle du publicain est louée!
Pourtant le pharisien a une conduite correcte et imitable : il respecte la loi (ni voleur, ni injuste, ni adultère), il jeûne et il paie sa dîme. Et sa prière est une action de grâce. Alors, où est le problème? Pourquoi ne pas l’applaudir (ce qu’il apprécierait sûrement!)? La difficulté n’est pas dans ses actions mais dans son attitude religieuse : en fait, il ne prie pas, il n’entre pas dans une relation au Dieu vivant. Il se parle à lui-même et de lui-même. Son je est omniprésent et peut fort bien se passer de Dieu. Il réussit même dans cette prière à garder l’œil sur le publicain pour affirmer son mépris! Étrange prière où le centre n’est ni Dieu ni la relation à Dieu, mais le pharisien lui-même, debout, fier de ses performances, se comparant avantageusement aux autres. Il est dans sa bulle et s’en glorifie.
La prière du publicain, au contraire, est centrée sur sa relation à Dieu : aie pitié de moi. Elle inclut une série de gestes signifiants et exprimant la vérité de sa condition et de sa quête : à distance, les yeux baissés, se battant la poitrine. Sa prière est un cri qui implore et qui vient du cœur. Elle ressemble à plusieurs psaumes. L’essentiel est dit : mon Dieu, je suis pécheur, aie miséricorde.
Ainsi, par cette parabole, Jésus vient nous appeler non en regard de nos pratiques comme telles, mais de ce qui nous habite au plus profond de nous. Que sert de prier si je me contente de m’exhiber en restant fermé sur moi-même, sans Autre devant qui faire la vérité? Sans compter le mépris d’autrui, qui me situe non seulement en rupture d’alliance avec Dieu mais avec les autres.
Mais il y a une différence entre les auditeurs de Jésus et nous, les lecteurs de Luc. Nous connaissons cette histoire peut-être depuis longtemps et nous avons appris à la transformer pour qu’elle demeure inoffensive et ne nous dérange pas. Nous savons le récit et nous pouvons donc le modifier : « Seigneur, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme ce pharisien pratiquant et correct. Je suis humble et misérable, comme ce publicain. Et j’en suis fier (je suis ouvert aux applaudissements) ! »
Ainsi, même les plus interpellants appels de Jésus peuvent être détournés de leur visée. Ce qui, par ailleurs, confirme le message de la parabole, en lui donnant une nouvelle application, actuelle. Et dans un deuxième temps, je peux me laisser toucher, en vérité, par la parabole, et me mettre à prier, en sortant de moi-même, en osant jeter un pont jusqu’à Dieu, le compatissant, qui m’attendait déjà. Et dire la vérité de ma condition, compliquée, celle d’un publicain pharisianisé, et de ma quête, qui demeure, par-delà mes masques et miroirs : Mon Dieu, prends pitié de moi.