Certains titres piquent la curiosité, d’autres font cliché. L’éditeur d’un livre intitulé Ceci n’est pas le bonheur prend-il un risque? Le style peut être accrocheur, mais l’affirmation surprenante! Les aléas d’une mise en marché ne devraient toutefois pas nous berner, car ce volume est une belle trouvaille pour réfléchir sur le bonheur. L’organisation Communications et Société m’a fait découvrir cette publication lors du Salon du livre de l’Outaouais 2010. Qui n’est pas concerné par le bonheur? Or, ce collectif, sous la direction de Patrick Snyder et de Martine Pelletier, professeurs de l’Université de Sherbrooke, réunit des auteurs préoccupés par la question selon leurs champs d’expertise.
Il y a quelque chose de neuf dans ce livre. L’équipe de chercheurs est invitée à répondre à la question suivante: «Le bonheur est-il une décevante illusion ou une possible voie de réalisation? À quelles conditions?» La problématique s’articule autour d’une polarisation, illusion ou réalisation, et elle innove dans la manière de mener la réflexion. Il s’agit d’une approche qui différencie cette étude des autres publications sur le même thème. La question devient le fil d’Ariane qui tisse une cohérence d’ensemble intéressante.
Des coups de sonde du côté des arts, de l’écologie, de l’éthique, de la philosophie, de la psychologie, de la récréologie, de la sexualité et de la spiritualité contribuent à poser un regard diversifié sur une réalité complexe. Les lectrices et les lecteurs risquent de faire des découvertes en se promenant d’une discipline à une autre. Reconnaissons que l’exercice est exigeant, mais les résultats sont étonnants. Quelques éléments retiennent l’attention.
Chez les sages et les philosophes
Le livre est divisé en trois parties selon un découpage interdisciplinaire. La première partie trouve preneur auprès des philosophes et des sages. Le bonheur selon la conception d’Aristote ouvre la réflexion sur le sujet. La présentation de ce classique donne le ton. Suivent les pensées des stoïciens, des épicuriens et des sceptiques. Les grandes articulations du bonheur chez deux maîtres, Augustin et Thomas d’Aquin, font l’objet de synthèses finement construites. Une interprétation du récit évangélique des Béatitudes complète cette première partie. J’ai beaucoup apprécié ce tour d’horizon, présenté dans de courts chapitres — une vingtaine de pages —, pour répondre à la question de départ.
Comme «art de vivre»
La deuxième partie aborde le bonheur comme «art de vivre». Le multidisciplinaire est à l’honneur. J’ai lu avec intérêt les résultats des plus récentes recherches en psychologie. La proposition de nouveaux paramètres enrichit la réflexion. Un chapitre sur «Bonheur, loisir et vieillissement» mérite une attention spéciale. J’ai mieux compris l’aspiration au bonheur des personnes aînées en rapport avec le loisir spirituel. Dans la même foulée, il sera aussi question de Bonheur et spiritualité: l’art de vivre heureux selon le dalaï-lama. Je veux aussi souligner la pertinence de la réflexion sur le bonheur sexuel. Rédigé par les deux directeurs de l’ouvrage, ce chapitre soulève des questions pertinentes avec lucidité et maturité. Leur écho résonne dans une société hyper sexualisée. Mon coup de cœur irait aux textes de deux artistes, des passionnés, dans la conclusion de cette partie: Paule Baillargeon et Yves Laferrière enchantent par le ton poétique de leur propos.
Une dimension sociale
La troisième partie concerne le thème Bonheur et conscience sociale. Le champ de réflexion ouvre sur les défis d’aujourd’hui. La problématique est familière: «La crise du sens et la crise de l’environnement menacent notre bonheur individuel et collectif.» Quatre chapitres explorent différents thèmes ayant des incidences sur le bonheur. L’écologie, l’hyperconsommation, les médias et la publicité, de même que l’ouverture aux autres comme lieu d’engagement et d’avenir. L’aspect innovateur transparaît dans ces pages. Les auteurs valorisent des aspects moins connus dans l’opinion publique. Des pistes d’action sont élaborées en vue d’une meilleure prise de conscience sociale en lien avec les quêtes de bonheur. Cette partie éveille les lecteurs et les lectrices à la dimension sociale du bonheur, trop souvent oubliée dans la réflexion. Comme si le bonheur n’était qu’une question individuelle!
Je vous recommande cette lecture si la question du bonheur vous intéresse sérieusement.