Romanos naquit en Syrie, à Émèse (aujourd’hui Homs), dans une famille d’origine judaïque. Il était diacre quand il vint se fixer à Constantinople, sous le règne d’Anastase 1er (418-518. Selon la tradition, c’est à Constantinople, dans l’église de la Théotokos, que la Vierge Marie lui serait apparue en songe et lui ordonna d’avaler un livre. L’Église orthodoxe grecque a admis au rang de ses saints celui qu’elle considère comme son plus grand hymnographe.
Prooïmion I
Aimons l’époux, mes frères, apprêtons nos lampes, brillants de vertus et de vraie foi, afin que, comme les vierges sages, à la venue du Seigneur, nous arrivions toutes prêtes aux noces avec lui : car le Miséricordieux offre à tous en présent, puisqu’il est Dieu, la couronne incorruptible.
Prooïmion II
Toi, l’époux de salut, l’espoir de ceux qui te chantent, Christ Dieu, accorde à nous qui t’implorons de trouver sans tache dans tes noces, comme les vierges, la couronne incorruptible.
Prooïmion III
Dans ton second avènement, Christ, quand tu siégeras, toi qui es Dieu, sur ton trône redoutable, Maître qui aimes les hommes, je t’en prie, ne me couvre pas de honte devant tous. Ouvre-moi les portes de la chambre nuptiale, Miséricordieux, comme tu l’as fait alors pour les femmes sages, offrant à tous la couronne incorruptible.
Prooïmion IV
Mon âme, imite les vierges sages et, tâchant d’égaler leur amour compatissant, crie dès maintenant dans ton repentir : « Offre à tous, Christ, la couronne incorruptible. »
Prooïmion V
La chambre nuptiale est disposée, ô âme misérable : combien de temps encore vas-tu gaspiller ta vie dans les passions, sans travailler pour recevoir comme les vierges la couronne incorruptible ?
Prooïmion VI
Aujourd’hui est apparu le temps des vertus, et le Juge est aux portes. Ne nous consternons pas, mais allons, jeûnons et présentons des larmes, de la contrition, des aumônes en clamant : « Nous avons péché, plus qu’il n’y a de sable dans la mer. Mais toi, fais grâce à tous, créateur de tout, pour que nous ayons aussi la couronne incorruptible. »
1. Quand j’ai entendu la sainte parabole des vierges qui est dans les Évangiles, je suis resté stupéfait, remuant pensées et réflexions : comment se fait-il que toutes les dix aient possédé la vertu de virginité immaculée, mais que pour cinq vierges ces peines soient restées sans fruit, alors que les autres ont brillé d’une lumière éclatante, grâce aux lampes de la bonté ? C’est pourquoi l’époux les attire à lui, et les amène dans la joie jusqu’à la chambre nuptiale, quand il ouvre les deux et décerne à tous les justes la couronne incorruptible.
2. Cherchons donc dans cette page de l’Écriture sainte la grâce qu’elle offre et le sens qu’elle renferme. Car elle est pour tous le guide qui mène à l’espérance incorruptible : telle est l’utilité de toute l’Écriture inspirée de Dieu. Jetons-nous donc aux pieds du Christ, notre Sauveur, et crions avec ferveur : «Roi des rois, ami des hommes, donne à tous la connaissance, guide-nous dans la voie de tes commandements pour que nous connaissions la route du royaume, car c’est elle que nous aspirons à suivre pour avoir aussi la couronne incorruptible. »
3. Mus par cette foi et par la promesse, la plupart des hommes désirent parvenir au royaume de Dieu, et c’est pourquoi ils s’efforcent de garder la vertu de virginité. Ils s’exercent aussi au jeûne, la plus grande des bonnes œuvres, pendant leur vie ; ils prient assidûment, ils gardent pur le dogme, mais il leur manque la bonté, et dès lors tout se révèle vain : car quiconque d’entre nous ignore la miséricorde ne recevra pas la couronne incorruptible.
4. Des marins munis d’un gréement complet, si la voile leur manque, n’arriveront jamais à tracer leur route droite en mer, car alors le navire est entravé dans sa course et reste là inerte, sans obéir à l’art du pilote, ni aux matelots. De même, tous ceux qui se hâtent vers le royaume peuvent bien entasser une cargaison faite de toutes les vertus : s’ils sont dépourvus de miséricorde, ils ne jetteront pas l’ancré dans les ports du ciel, ils ne remporteront pas la couronne incorruptible.
5. Jugeant que la plus grande de toutes les vertus, c’est l’aumône, le juge de tous nous a livré son enseignement par cette parabole : les cinq qui avaient prudemment apporté l’huile, il les a appelées sages, et folles celles qui s’étaient mises en route sans leur huile. En outre, nous avons entendu Matthieu nous en dire la signification ; je trouve hors de propos d’en répéter tous les termes à des gens qui connaissent les Écriture. Recherchons-en donc le but, pour avoir aussi la couronne incorruptible.
6. Riche est l’enseignement de cette parabole, qui pour tous est la route et le guide menant à toute bonté et à toute humilité. Elle est la règle des rois, elle enseigne la compas¬sion à ceux qui gouvernent le peuple. De même qu’un homme qui a bâti et meublé une maison magnifique, s’il ne l’a pas couverte d’un toit, voit son travail devenir inutile, celui qui a construit l’édifice des vertus, s’il n’y ajoute pas le toit de la compassion, perd sa peine, de sorte qu’il n’aura pas la couronne incorruptible.
7. Nous pouvons voir le sens de ce passage de la sainte Écriture, si nous élevons vers le Christ les yeux vigilants de l’intelligence : figurons-nous donc voir avec les yeux de l’âme la résurrection universelle, le Christ sauveur apparaissant comme roi de l’univers, lui qui dès maintenant est le roi, le Seigneur et le Maître. Même s’il en est qui se révoltent, ne voulant pas le reconnaître, la flamme du feu les fera tous fondre, car personne ne pourra lui résister en ce moment-là où il accordera la couronne incorruptible.
8. Nous savons tous comment la voix de la trompette, résonnant brusquement au souffle de l’ange, éveillera les morts qui depuis des siècles attendaient le Christ, le bon époux, fils de Dieu et lui-même notre Dieu éternel. Quand le cri retentira tout à coup, tous se présenteront, et ceux qui auront toutes prêtes leurs lampes nourries d’huile entreront aussitôt avec l’époux, héritiers du royaume des cieux ; car alors la foi jointe aux œuvres leur donnera avec justice la couronne incorruptible.
9. L’aumône l’emporte sur les autres vertus : elle est vraiment plus éclatante, et pour Dieu elle vient en tête de toutes les vertus. Elle fend l’air, elle en sort pour dépasser le soleil et la lune, elle arrive sans s’égarer à l’entrée du monde céleste, et même là ne s’arrête pas, mais va jus¬qu’aux anges, franchit même les chœurs des archanges, intercède auprès de Dieu pour les hommes ; elle se tient devant le trône du Roi en lui demandant la couronne incorruptible.
10. Considérons donc les cinq sages s’éveillant du sommeil comme d’un lit nuptial et non d’un tombeau pour les morts : elles avaient de l’huile et garnirent aussitôt les lampes de leurs âmes. Les autres pareillement s’éveillèrent tout à coup avec elles, le visage sombre et défait, car leurs lampes s’étaient éteintes et leurs vases apparurent vides. Elles cherchèrent à se faire donner de l’huile par les prudentes qui avaient cueilli la couronne incorruptible.
11. Les sages prirent la parole pour dire aux folles : « Peut-être ne suffira-t-il pas, pour nous toutes et pour vous, de ce que nous avons acquis dans le monde ; car nous ne sommes pas rassurées, et certes nous n’avons aucune garantie quant à l’issue de notre attente ». Ainsi, le collège entier des justes est encore en suspens, et craint dans le jugement la pensée secrète du tribunal, jusqu’à ce que l’arrêt soit rendu public et les affranchisse de toute ser¬vitude ; car celui qui distribue la pitié, c’est le Créateur de toutes choses, qui donne la couronne incorruptible.
12. Les sages dirent en propres termes : « Allez-vous-en demander aux marchands si vous pourriez acheter de l’huile encore à cette heure. » Les autres tombent dans le piège, comme des sottes qu’elles sont toujours, et courent à leur emplette, alors que le temps des affaires est clos pour tout le monde, imposant une borne à la stérile course des folles, qui ne sauraient le rattraper. Il fait ressortir leur agitation du moment et blâme clairement leur trouble. Car elles demandaient l’impossible, dans leur déraison : aussi n’eurent-elles pas la couronne incorruptible.
13. Quand elles reconnurent enfin la vanité de leur course, les cinq s’en retournèrent et trouvèrent fermée la chambre nuptiale du Christ. Elles crièrent toutes d’une voix doulou-reuse, avec des sanglots et des larmes : « Immortel, ouvre la porte de ta bonté à nous aussi, qui avons servi ta puissance dans la virginité ! » Alors le roi leur crie : « Le royaume ne vous est pas ouvert, je ne vous connais pas. Allez-vous-en donc, disparaissez, car vous ne portez pas la couronne incorruptible. »
14. Dès qu’elles ont entendu le Christ, roi de l’univers, crier aux cinq : « Je ne sais pas qui vous êtes », un grand trouble les envahit. Elles crient en pleurant : « O le plus juste des juges, nous avons gardé la chasteté, nous avons pratiqué la tempérance en toutes choses, avec ardeur nous nous sommes consumées dans les jeûnes, nous avons recherché la pauvreté. La flamme du feu de la licence et ses appétits, nous les avons vaincus ; nous avons toujours mené une vie pure, afin d’avoir aussi la couronne incorruptible.
15. Mais après une vie de vertu, et la grâce de la virginité, après avoir piétiné le feu de la lubricité et la flamme des voluptés, après tant de travaux, alors que nous avons imité la vie qu’on mène dans les cieux — car nous nous sommes efforcées de nous conduire comme les incorporels -, tant de si grands mérites ont été jugés, semble-t-il, sans valeur ; d’une grande vertu nous avons montré l’effort, et vaine s’est montrée toute notre espérance. Pourquoi donc feins-tu de ne pas nous connaître, toi qui offres à tous ceux que tu veux la couronne incorruptible ?
* la deuxième partie paraîtra dans l’édition du mois d’octobre 2010