Les places et les invités : le monde à l’envers
Un jour de sabbat, Jésus était entré chez un chef des pharisiens pour y prendre son repas.
Remarquant que les invités choisissaient les premières places, il leur dit cette parabole : « Quand tu es invité à des noces, ne va pas te mettre à la première place, car on peut avoir invité quelqu’un de plus important que toi. Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendrait te dire : ‘Cède-lui ta place’, et tu irais, plein de honte, prendre la dernière place. Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Alors, quand viendra celui qui t’a invité, il te dira : ‘Mon ami, avance plus haut’, et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui sont à table avec toi. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »
Jésus disait aussi à celui qui l’avait invité : « Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n’invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi t’inviteraient en retour, et la politesse te serait rendue. Au contraire, quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; et tu seras heureux, parce qu’ils n’ont rien à te rendre : cela te sera rendu à la résurrection des justes. »
COMMENTAIRE
Le cadre de l’évangile de ce dimanche est bien précis. Le temps est le jour du sabbat, jour religieux par excellence consacré à Dieu. Le lieu est la maison d’un chef des Pharisiens, ce groupe religieux fervent, vivant l’alliance avec Dieu au quotidien dans des pratiques bien codées et strictes. La circonstance est celle d’un repas, moment privilégié de rencontre et de communion entre les convives.
Luc présente deux enseignements de Jésus de style différent: une parabole, portant sur les places à un repas de noces; des conseils de sagesse, portant sur les invités à un festin. Les deux sont propres à Luc : on ne les trouve pas dans les autres évangiles.
Les paroles de Jésus, dans les deux cas, sont surprenantes. Elles ne s’inscrivent pas dans les normes habituelles régissant la vie en société et la bonne conduite aux repas. Elles proposent une autre dynamique de vie, qui brise les schémas spontanés et fait entrer dans un horizon autre et plus large, celui du Règne de Dieu.
La parabole met en scène des gens voulant être aux premières places. C’est là une logique fréquente, celle de l’ambition, du désir de gloire, qui n’est pas mauvaise en elle-même. La parabole joue sur deux sentiments, la honte et l’honneur, qui étaient des valeurs majeures dans le monde grec; et Luc écrit pour des chrétiens de culture grecque.
Mais ici, elles sont déplacées, virées à l’envers. Ce n’est pas moi-même qui peut m’accorder la meilleure place, qui la prend sans tenir compte des autres, mais elle est donnée par celui qui invite. Elle est un don à recevoir. Le repas de noces évoque celui du Règne de Dieu, à la fin des temps. Le même revirement que provoque l’Évangile dans les valeurs courantes se retrouve dans la bouche de Marie en Luc, dans son Magnificat (Lc 1, 47-55).
Les conseils de sagesse sont tout aussi déconcertants. Face à la logique normale du donnant-donnant, d’un échange où chacun cherche ses intérêts et y trouve son compte, Jésus propose une dynamique du don et de la gratuité. Elle est plus risquée et elle est désintéressée. Elle n’est pas centrée sur mon profit. Comme dans la parabole des places, je ne suis pas au centre.
Ici, les invités sont significatifs. Ce sont ceux qui sont exclus de la vie sociale et religieuse du peuple : pauvres, estropiés, boiteux, aveugles. Eux aussi ont leur place au festin du Règne. Luc, tout au long de son Évangile et des Actes, souligne l’importance du partage des biens et du souci des pauvres. D’ailleurs, à la naissance de Jésus, ce sont des pauvres marginaux, des bergers, qui viennent les premiers lui rendre hommage. Ainsi, dans ces conseils comme dans la parabole, les valeurs acceptées sont renversées.
Jésus invite à entrer dans une dynamique différente de celle offerte par notre culture, par les grands médias. Il est question d’humilité, d’accueil, de don, de gratuité, de partage et non de gloire et de profit. Cela ne va pas de soi, aujourd’hui comme au temps de Luc. À quel déplacement, à quel changement, par rapport aux façons habituelles de voir et de faire, suis-je appelé-e par cet évangile? Cela peut être un petit pas et sembler sans éclat. Mais c’est ainsi que le Règne du Dieu vivant fait sa place en nous et autour de nous et que les invités au festin sont nombreux et joyeux.