Depuis quelques années, le rôle central de la Révolution tranquille dans l’accession du Québec à la modernité est remis en cause par une nouvelle génération de chercheurs. La religion catholique, longtemps perçue comme résistante à toute forme d’innovation, fait l’objet de la curiosité renouvelée des spécialistes qui lui reconnaissent désormais une certaine responsabilité dans les changements des années 1960. Ainsi, aborder la société québécoise sous l’angle de la religion l’impose comme une dimension identitaire toujours d’actualité.
Les Presses de l’Université Laval nous proposent aujourd’hui les actes du dernier colloque tenu par le groupe de recherche Modernité et religion au Québec. Vingt-neuf collaborateurs issus des horizons de la théologie, de la sociologie, de l’histoire, de la philosophie et j’en passe, nous proposent de nouvelles perspectives du rôle et de la place de la religion catholique dans l’accession du Québec à la modernité. L’intérêt et l’originalité des contributions est, comme on peut s’y attendre dans ce type d’ouvrage, variable.
Afin de permettre aux lecteurs de s’y retrouver, Robert Mager et Serge Cantin ont divisé le livre en cinq parties mais on dénotera, au passage, la prégnance de la thèse de la «sortie de la religion» du philosophe et historien Marcel Gauchet sur une très grande partie des textes réunis, ce qui peut représenter un problème pour qui n’est pas trop familier avec cette œuvre. Gauchet, on se le rappellera, pose comme point central de sa réflexion que les sociétés occidentales ont délaissé l’élément religieux en se modernisant. Un changement vécu comme on le sait sur les chapeaux de roue au Québec et qui a affecté durablement sa dimension identitaire.
L’espace qui m’est alloué ne me permet pas de parler de chacune des contributions, mais j’aimerais en souligner certaines. Dans la première section à caractère plus historique, le texte de Pierre Lucier propose d’évaluer de «quelle sortie de religion et de quelle religion» on parle lorsque l’on réfère à la rupture religieuse liée à la Révolution tranquille. Il distingue bien la remise en question de l’institution officielle du message fondamental du christianisme et cela vaut certainement une lecture attentive. Le dominicain Maxime Allard propose un parcours à travers différentes thématiques abordées dans la revue Maintenant en 1962 et permet, grâce à la mise en exergue de certains passages textuels, de mieux saisir les rapports de «coexistence entre l’Église et l’État et de certaines formes d’expression du religieux». De son côté, Gilles Routhier démontre que Vatican II a été l’occasion pour l’Église québécoise de penser l’organisation ecclésiale à partir d’ici et non de Rome.
La seconde partie associe sociologie et histoire et se présente comme l’une des plus riches de l’ouvrage. E.-Martin Meunier, Jean-François Laniel et Jean-Christophe Demers proposent un portrait statistique majeur des pratiques sacramentelles et religieuses des Québécois dans une perspective comparative avec le reste du Canada et le monde. Elle est suivie par une intéressante étude du religiologue Louis Rousseau sur le pluralisme religieux qui déboulonne (entre autre sur les musulmans) certaines perceptions erronées et expose, à travers les exemples de communautés paroissiales toujours actives, une prise en main porteuse d’espérance et de changement.
La troisième section qui porte sur les rapports entre religion et État offre un essai percutant sous la plume raffinée de l’historienne Lucia Ferretti. Elle revisite le processus de redéfinition du rapport historique entre l’État et les organisations religieuses. Il faut parcourir sa conclusion et la série de questions qu’elle laisse en suspend pour comprendre que le sujet n’est pas clos.
La quatrième partie porte sur la présence de la religion à l’école et on consultera avec une attention particulière le texte du théologien Jacques Racine qui fournit une stimulante analyse des rapports entre l’Église et le gouvernement lors de la création du ministère de l’Éducation en 1964 et la création du cours Éthique et culture religieuse, plus de quarante ans plus tard. La dernière partie, «Penser la religion en régime moderne», procure un panorama érudit d’analyses spéculatives du rapport entre religion et modernité.
Au total, Modernité et religion au Québec est un ouvrage dense qui nous expose plusieurs réflexions importantes et parfois même étonnantes. En regardant une dernière fois la façade de l’église Saint-Vincent-de-Paul de Québec éventrée et couverte de graffitis en couverture, je ne pouvais m’empêcher de penser que l’image est trompeuse. La «sortie de la religion» annonce, certes, un chantier de démolition, mais il me semble en voir poindre un autre, prometteur…