Jeudi après-midi, Ottawa – Montréal, en autobus. Je suis plongé dans le premier roman de Marc Séguin, La foi du braconnier (Montréal, Leméac, 2009). Page 86 : «Le bonheur, c’est comme le Fentanyl d’une salle d’opération, ça gèle la foi ou la peur de vivre quelques instants». Tiens? que je me dis… Je relis… et poursuis ma lecture.
Mais j’ai la tête à la page 86. La phrase me titille l’esprit. Quand ça gèle dans une salle d’opération, cela signifie que tout s’arrête, c’est comme mort… c’est inactif… c’est inopérant… L’auteur veut-il dire que les gens heureux perdent la foi?… Que le bonheur et la foi ne vont pas ensemble?…
Et ce «ou» entre la foi et la peur de vivre? Ces deux réalités, l’auteur les classe-t-elle dans la même famille? On croit parce qu’on a peur de vivre? La foi ne servirait qu’à atténuer l’angoisse ou l’anxiété? La foi comme placebo?
Plusieurs pages plus loin, je rentre dans Montréal. La phrase me trotte toujours dans la tête. Avec mes questions…
Et soudain, sœur Pascale apparaît dans mon esprit. Sœur Pascale est décédée il y a plusieurs années. Moniale pendant un demi-siècle, sœur Pascale est morte croyante convaincue et comblée de bonheur. Les deux ensemble.
Sœur Pascale n’avait pas le bonheur doucereux et naïf. Elle avait traversé des tragédies douloureuses. Même après cinquante ans de vie religieuse, elle gardait la cicatrice de la mort de son fiancé. Son frère, perdu dans la drogue et le crime organisé, la faisait pleurer les soirs de cafard. Mais sœur Pascale était néanmoins heureuse, confiante. Une femme d’espérance.
Sœur Pascale avait la foi. Cela aide pour durer au monastère!! Mais elle n’avait pas la foi facile. Elle aurait aimé que sa raison puisse arriver à la conclusion claire et définitive : Dieu existe! Mais la moniale reconnaissait bien qu’elle ne pouvait compter sur ses déductions intellectuelles. Elle se répétait souvent les mots de Thérèse de l’Enfant-Jésus sur son lit de mort : «J’espère que c’est vrai!» Souvent, elle grondait Dieu de ne pas être évident : «Tu pourrais sortir de ton silence! Pourquoi cette discrétion dans la vie de ceux qui t’aiment?»
Malgré ses doutes, malgré ses questions sans réponse, sœur Pascale croyait : «Je tiens le coup. Je l’aurai par entêtement.» Elle avait dit un jour de confidence : «J’ai parfois l’impression de perdre la foi mais c’est le contraire qui se produit. De plus en plus, la foi se dépouille en moi. J’ai de moins en moins de certitudes; donc, de plus en plus de foi. À quinze ans, j’avais la foi sensible, frissonnante. À quarante ans, j’avais la foi besogneuse, au service de mon prochain. À quatre-vingt-cinq ans, pourquoi je crois? Parce que… Je crois pour rien, en toute gratuité. Comme une vieille amoureuse aime son homme même si celui-ci a perdu le charme de ses vingt ans…»
Merci à Marc Séguin, pour la phrase de la page 86. Elle a réveillé en moi le souvenir d’une croyante heureuse…