Chaque année, le huitième jour de Pâques, l’apôtre Thomas sort de l’ombre. Il étale alors ce que Jésus appelle son «incrédulité». Le personnage ne manque pas de panache. L’imaginaire lui attribue une personnalité tranchée, un esprit critique marqué. Parce que Jésus le dit incrédule et qu’il l’invite à la foi, on en a souvent conclu qu’il était un délinquant, de foi fragile, au doute systématique. Son nom baptise souvent ceux qui cherchent des preuves là où la confiance devrait régner.
En ces années de grands questionnements, Thomas attire la sympathie. D’après l’Évangile, son nom signifie «jumeau». Les chercheurs de sens ont parfois l’impression d’être le frérot identique.
Il y a ceux qui doutent. Il y a aussi ceux qui cherchent du solide. Le peintre Caravage a peint un portrait saisissant de l’apôtre incrédule. Le doigt enfoncé dans le côté ouvert du Ressuscité, Thomas regarde. Un regard perçant, direct. Il veut voir sans perdre de détail, comprendre ce qui est arrivé, s’expliquer à lui-même le mystérieux événement rapporté huit jours plus tôt. La lumière du tableau va de Jésus au visage de Thomas. L’apôtre a le front ébloui. Ça travaille dans cette caboche-là!
Un peu plus bas, la main de Jésus semble tenir solidement le poignet de Thomas qu’il dirige vers la plaie de son côté. On dirait que Jésus vrille l’index de l’incrédule dans son côté ouvert. Le geste du Ressuscité laisse entendre que Jésus accepte que la foi de l’apôtre passe par la preuve physique. Touche, Thomas, puisqu’il te faut toucher pour croire! Touche, Thomas, toi qui dois proclamer la profession de foi la plus haute qui soit : «Mon Seigneur et mon Dieu!» Touche, et pourtant Jésus conclut : «Heureux ceux qui croient sans avoir vu!»
Le tableau de Caravage est éloquent. La page d’Évangile bien davantage. La foi suppose une adhésion en toute confiance, bien sûr. Mais il n’est pas interdit de faire appel aux sens, à l’intelligence. La foi est en quête de vérité. La foi peut faire appel à l’intelligence pour se nourrir, d’autant plus que l’intelligence est la caractéristique de l’être humain. D’après un autre Thomas (d’Aquin), les êtres accèdent à Dieu par ce qui les caractérise et les différencie des autres. La quête de l’intelligence ouvre des chemins vers Dieu. Le grand savant du moyen âge n’affirmait-il pas «Homo capax Dei»! L’être humain peut accueillir Dieu dans son existence. Et il ajoutait aussitôt : «Homo capax Dei, non rapax»! L’être humain peut accueillir mais il ne peut se donner Dieu à lui-même.
Ce qui est dit de la foi en Dieu se dit aussi de la foi en la résurrection. Nous pouvons croire en toute confiance les témoins qui ont rencontré le Ressuscité. Mais il n’est pas interdit de creuser le mystère, de faire appel à notre intelligence pour comprendre. Selon le peintre Caravage, laissons le Christ nous prendre la main et la diriger vers la vérité de sa résurrection. Et nos sens comme notre intelligence pourront reprendre la profession que la foi peut seule proclamer : «Mon Seigneur et mon Dieu!»